BEBEKAN 8
La semaine dernière, Carrefour a donné son accord pour reconstruire une des écoles primaires que fréquentent les enfants de Bebekan en commun avec les villages alentour, école située à environ 1km du village. J’ai accompagné le « directeur des affaires corporatives », Irawan, sur les lieux. Carrefour avait en tête une simple restauration, car sur les deux bâtiments, un seul s’était à moitié effondré. Mais lorsque nous sommes arrivés, des soldats de l’armée indonésienne étaient en train de démolir complètement le bâtiment à moitié effondré pour éviter tout accident avec les enfants qui jouent alentour. Carrefour devra donc tout rebâtir de zéro. Nous avons rencontré les instituteurs/trices et la directrice de l’école qui nous a confirmé qu’aucun plan de reconstruction n’était prévu encore et se réjouissait de voir Carrefour prendre cette initiative, bien qu’elle ignorât le nom même de Carrefour. Elle a transmis à Irawan les anciens plans de l’école. Avec la direction de Carrefour, nous sommes bien d’accord que la reconstruction de cette école doit apporter trois avantages aux gens de Bebekan :1) Une école neuve pour leurs enfants dans les plus brefs délais. Carrefour est en effet décidé à agir vite, si aucune entrave n’intervient de la part de l’administration locale indonésienne. 2) Un emploi rémunéré pour un certain nombres d’hommes de Bebekan. Carrefour a immédiatement été d’accord avec ma proposition d’employer les hommes de Bebekan et des villages voisins dont les enfants fréquentent la même école comme ouvriers de base à la reconstruction, encadrés bien sûr par des contremaîtres. Si les gens de Bebekan démolissent et vont reconstruire leur maison gratuitement, selon le principe du « gotong-royong » (entre-aide), il est clair que pour la construction de bâtiments publics, hors du village, les gens employés doivent être payés. 3) Une formation à la construction aux normes anti-sismiques pour les hommes de Bebekan employés à la reconstruction de l’école.
Samedi 24 juin. Une amie d’origine marocaine, vivant à Bali, Zohra, est venue avec son mari et un camion de Bali chargé de matelas, de jouets, de vêtements et de portes et cadres de fenêtres pour Bebekan. Zohra est en fait la jeune sœur de Midu qui est revenu encore trois jours la semaine dernière pour terminer l’installation électrique dans le village. Quelques jours avant, de vieux câbles bricolés ont pris feu près d’une tente ce qui a convaincu les gens de Bebekan de la nécessité de cables aux normes. Mais chaque fois que Midu croyait avoir câblé la dernière maison, une nouvelle maison, ou plutôt une nouvelle ruine ou tente surgissait derrière un cocotier ! A présent, chaque tente à son néon plus une prise pour la télévision ou le fer à repasser et les entrées de chaque chemin sont éclairées aussi par des néons.
Samedi midi, nous sommes allés acheter les costumes de danse de Reog dans une boutique spécialisée près du palais de Yogyakarta. Les deux leaders du groupe nous accompagnaient ainsi que le peintre Heri Dono qui nous a suivis ensuite à Bebekan pour participer à une discussion sur le Reog avec les membres de la troupe. Heri Dono leur a dit qu’ils pourraient ajouter à leur spectacle des marionnettes géantes en carton, telles qu’un dragon (naga) qui en crachant du feu de sa bouche (cratère du volcan Merapi) a provoqué un mouvement violent de sa queue (séisme dans l’Océan Indien). Les jeunes danseurs nous ont dit que ce que les spectateurs préféraient c’était le moment où les danseurs entraient en transe et ce que les danseurs, eux, préféraient, c’étaient les scènes de combat, de guerre. Mais ils avaient le désir de transformer leur « scénario » et d’apprendre de nouveaux mouvements. Dans les semaines qui viennent, nous allons donc inviter le grand danseur javanais Didik Nini Thowok (un ami avec qui je collabore sur le Livre de Centhini) pour qu’il leur enseigne quelques nouveaux mouvements. Alors que la répétition de Reog allait commencer au milieu des ruines, la terre s’est mis soudain violemment à trembler pendant une dizaine de secondes. Un villageois a soupiré : « Quand va-t-elle enfin se calmer ! ». Depuis le séisme du 27 mai, la terre tremble encore très fréquemment. Dans les villages d’Imogiri (région des tombeaux des rois javanais) les paysans disent entendre souvent la terre gronder sous leurs pieds.
Dimanche 25 juin, nous avons organisé une sortie en bus pour 40 enfants de Bebekan. Le lieu de la sortie était… ma maison, sur les pentes du volcan Merapi. Il y a là un grand « pendopo » , pavillon ouvert qui peut accueillir beaucoup de monde, plus derrière la maison, un petit pré et une petite forêt descendant jusqu’à une minuscule rivière. Plus une cabane en bois sur pilotis. Les accompagnateurs étaient les étudiants qui campent à Bebekan, dont deux étudiantes en psychologie, Bintang (balinaise) et Sita, plus un étudiant en arts plastics, Sutris,qui donne des cours de dessin trois fois par semaine aux enfants de Bebekan, plus Ujang, un jeune homme qui enseigne aux enfants à lire le Coran, deux fois par semaine. Nous nous efforçons de tout transmettre aux enfants sans discrimination : religion, arts, protection de la nature, etc… Sutris a les cheveux longs, des percings dans le nez et un visage androgyne, quant à Ujang, il est plus classique mais tout aussi ouvert. Tous ces étudiants sont bénévoles, nous ne payons à Sustris et à Ujang que leurs frais d’essence (10.000 rupiah, soit 1 euro pour chaque déplacement au village). Précisons que Sutris et Ujang sont aussi des victimes du séisme : leurs maisons sont totalement détruites.
Au retour des enfants, les femmes de Bebekan ont émis le vif désir de faire une sortie à leur tour… dans ma maison. IL est vrai que pour l’instant nous nous sommes occupés beaucoup des hommes (Reog et déblayement des ruines), des enfants (playgroup) mais pas du tout des femmes. Leur tour est donc venu.
La providence étant toujours à nos côtés, voilà que le dimanche soir je reçois un appel de Francisca, une femme mexicaine que j’ai connue à Aceh, lors du tsunami. J’étais partie là-bas comme volontaire sur un avion cargo de Metro TV, une chaîne privée indonésienne. Le premier jour, j’avais été affectée à « l’évacuation », c'est-à-dire la recherche et le ramassage des cadavres encore très nombreux dans la boue et les ruines. Le lendemain , j’avais rencontrée Johny, un Chinois Indonésien de Kalimantan qui était venu avec plusieurs amis volontaires, dont Francisca. Au Mexique, Francisca avait une fabrique de pains et de gâteaux. A Aceh, elle a formé les femmes d’un village a la fabrication de pains et de gâteaux et a monté avec elle une coopérative dans leur village gérée par les femmes. Elle me dit qu’elle travaille depuis trois semaines dans plusieurs villages touchés par le séisme et offre la même formation aux femmes de ces villages. Je lui propose de venir à Bebekan pour nous conseiller sur comment organiser les femmes dans la confection et la commercialisation des « emping », ces chips locales faites à partir de glands « melinjo ».
Lundi 16 juin11h du matin, réunion des femmes du village à Bebekan, avec Francisca et la sœur de Johny, Eli, qui vit à Yogyakarta et est très active dans l’aide aux victimes du séisme et les projets de micro-économie avec les femmes. Comme je l’ai déjà raconté dans un précédent compte-rendu, les femmes de Bebekan ne sont que des ouvrières d’emping. Elles vont chercher les glands dans une usine, elles les transforment en emping, les rapportent à l’usine et sont payées (une misère) pour leur travail. L’idée serait de leur avancer l’argent pour acheter elles-mêmes les glands melinjo, puis de les aider à vendre elles-mêmes leur production, ce qui leur permettrait de gagner trois à quatre fois plus d’argent. Samedi, comme je me trouvais à l’hôtel Mercure de Yogyakarta, j’ai rencontré le manager de l’hôtel que je connais bien, Xavier, et lui ai demandé si le groupe Accor en serait intéressé d’acheter les emping à ces femmes de Bebekan en « fare trade ». Il a tout de suite émis une réponse positive en me demandant de lui transmettre rapidement un petit projet. Cela serait un premier débouché. Les femmes continueraient à travailler pour l’usine, et prendraient une ou deux heures de leur journée pour confectionner des empings pour leur propre compte. Nous procèderons par étapes, lentement. Il faut aussi un contrôle de la qualité et d’autres réseaux de vente. Eli et son mari se proposent de nous aider car ils ont de bons réseaux dans toute l’Indonésie et les femmes des villages qu’ils aident produisent également des emping. L’idée serait de faire une petite coopérative regroupant tous ces villages producteurs de emping. Nous allons inviter les femmes de Bebekan chez moi à la fin de la semaine pour faire un « brain storming » avec elles, voir comment elles veulent s’organiser, quelles autres activités lucratives elles pourraient ou aimeraient pratiquer. A suivre.
Vincent continue à approcher les grosses ONG et à nous fournir une aide importante. Asep de SAR est en train de mettre en place un blog avec textes et photos. Vous allez enfin avoir des images de Bebekan. Demain, je vous enverrai le bilan financier et les dépenses jusqu’à présent, non pas pour vous relancer car nous avons assez d’argent pour faire fonctionner tous nos projets actuels, mais pour vous informer. Je ne veux pas mettre ce bilan sur le blog accessible à n’importe qui. Je pense que les finances de Bebekan et la gestion de l’aide ne regardent que les donateurs.
Merci pour votre soutien.Elisabeth
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