Village de Bebekan

Maison du corps maison du coeur

mardi, août 08, 2006

BEBEKAN 7




Ces derniers jours, je regardais pour la première fois, enfin, les photos que les étudiants ont prises le surlendemain du séisme dans le village de Bebekan avec chaque famille devant sa maison détruite. C'est poignant et surtout ce qui saute aux yeux c'estque ce n'est pas une "catastrophe naturelle" (bencana alam), mais une catastrophe sociale. Toutes les maisons qui se sont écroulées dans le sud de Yogya ou presque sont des maisons de pauvres. Les pompiers français qui sont venus dans le village ont dit qu'elles étaient toute très mal construites, avec des briques de mauvaise qualité, du ciment tout aussi mauvais, et sans aucune technique élémentaire de construction. Au Japon, un séisme de force 5,9 ne détruit aucune maison. Et à présent le gouvernement annonce qu'il va donner entre 10 et 30 millions de Rupiah par maison détruite. Or plusieurs architectes compétents disent que construire une maison anti-sismique en ciment et béton coûte cher, car il faut beaucoup de fer et de techniques. Les villageois ne pourront donc pas se reconstruire une maison solide, ils récupèrent déjà une à une les briques intactes dans leurs ruines pour les réutiliserpour leur prochaine maison! Les pompiers ont pris les briques dans leur mais,les pressant à peine, elles se brisaient en poussière! Cet argent n'est donc pas une aide mais une sorte de crime: on donne aux villageois les moyens de construire non pas une maison mais un tombeau pour leurs enfants. La seule solution bon marché semble être le bambou, pas cher,résistant au séisme. Le bois est trop cher. La seule maison intacte de Bebekan est une maison en bambou construite sur un haut socle, terrasse en ciment avec des piliers en ciment avec des barres de fer à 50cm dans le sol, entre les piliers en béton des parois en bambou, c'est lepaysan lui-même qui a construit cette maison en 1965. Pas même une seule tuile n'est tombée du toit! Le problème c’est qu’il change tous les ans les cloisons en bambou car elles sont dévorées par les bêtes. Cela doit lui coûter moins cher de changer les parois que d’acheter du produit anti-insectes. Nous allons commencer un programme à Bebekan, un soir par semaine, projection de photos de leurs maisons détruites, laisser parler les villageois sur comment ils ont construit avant le séisme, projection de maisons japonaises en bois et bambou, de maisons balinaises "trend" en bambou, ou autres alternatives. Dimanche je suis allée chercher les quatre hommes du village avec qui nous avons le contact le plus étroit depuis le début. Je les ai emmenés chez moi, sur les pentes du volcan, pour discuter avec eux, Asep et Faiz (l’étudiant SAR qui dirige le posko à Bebekan) de leurs idées de reconstruction. Les sortir des ruines de leur village leur a fait le plus grand bien, une amie architecte indonésienne, Retno, nous a rejoints, avec son mari professeur de cinéma à l’Académie des Beaux Arts de Yogya (ISI). Les villageois nous ont dit qu’à Bebekan il y avait beaucoup de bêtes qui dévoraient le bambou et le bois, une vraie calamité. IL faudrait donc trouver des traitements spéciaux pour le bambou. Retno, l’architecte, a suggéré de commencer déjà par faire des fondations avec beaucoup plus de sable. Avant on mettait dans les fondations généralement 5cm de sable, il faudrait désormais en mettre au moins 20 cm. La grande leçon, ce sont les maisons de Parangtritis, sur la côté sud de Yogya, juste à côté de l’épicentre du séisme qui était à 7kms au large dans l’océan.

Pratiquement aucune de ces maisons ne s’est écroulée, grâce au sable sur lequel elles étaient bâties qui a amorti les vibrations. REtno a suggéré de budgéter une structure anti-sismique de base, fondation (avec sable), puis un cadre avec 6 piliers en béton armé, bien ancré dans le sol, plus une « couronne » en béton en hauteur réunissant les 6 piliers. Ce serait la base de la maison type. Là-dessus, chaque famille pourrait « la remplir » avec ce qu’elle souhaite ou peut se permettre : parois en bambou ou en bois, ou même en briques (si le cadre tient, le mur en briques s’il s’écroule, s’écroule sur lui-même à la verticale, sans grand danger), toit en tuile ou en tôle, fenêtres et portes récupérées de leurs anciennes maisons. Le fait de parler de reconstruction a fait le plus grand bien à ces hommes, de pouvoir un peu se projeter dans l’avenir. Car en fait depuis une semaine, ils avaient arrêté de démolir les pans de murs encore debout et de déblayer les ruines, ce qui les plongeait dans une déprime silencieuse. Ils se sont arrêtés, car ils doivent travailler dans les rizières. 75% des villageois sont des ouvriers agricoles pour gagner leur vie. S’ils abandonnent la rizière pour déblayer leurs ruines, la rizière s’assèche et meurt. Nous leur avons dit qu’il était pourtant essentiel qu’ils ne cessent de déblayer leurs ruines, sinon ils ne sortiront jamais de leur déprime. Le spectacle de ces ruines est oppressant, ils vivent toujours sur les montagnes de gravats de leur maison, dans la poussière, sans un sol plat pour planter une tente vaste. Ils ont donc eut l’idée d’organiser un tour sur la même base que le tour de garde de nuit, dite « ronda ». 18 hommes à tour de rôle ne vont pas un jour dans la rizière et travaillent au déblayement. Dès lundi matin, ils avaient affiché dans le village les groupes de 18 hommes, leurs noms, leur jour de travail et de « ronda ». Pour les soutenir, nous avons décidé de donner de l’argent aux femmes pour qu’elles cuisinent pour ce groupe d’hommes chaque jour. Ainsi, le déblayement est relancé, non pas à grands renforts de fonds, mais juste par une stimulation, des discussions, et 4 euros pas jour pour cuisiner pour les 18 hommes. Le dimanche, tous les hommes du village s’activeront au déblayement et nous les soutiendrons encore en donnant aux femmes de quoi cuisiner pour tous les travailleurs « gotong-royong ». Depuis lundi, le système marche très bien et le déblayement avance, même s’il faudra encore plusieurs semaines pour en venir à bout. Nous allons louer une camionnette pour transporter les gravats sur les routes de terres qui arrivent au village. A moins que Vincent, l’ami français de Yogya qui soutient aussi Bebekan et qui est devenu un expert dans la récupération et la redistribution de gros stocks d’aide stagnant dans les entrepôts les ONG internationales, achète une camionnette et nous la prête certains jours. Du côté de l’aide gouvernement, l’argent mensuel (90.000 rupiah) que toutes les victimes du séisme doivent toucher, n’est toujours pas arrivé à Bebekan. D’autres villages sont dans le même cas et certains manifestent plus ou moins violemment. Les étudiants du posko vont aller faire pression sur les autorités locales pour que cet argent soit versé comme il se doit aux gens de Bebekan. Affaire à suivre. C’est dire que les gens de Bebekan ne croient pas beaucoup qu’ils toucheront un jour l’aide à la reconstruction promise (entre 10 et 30 millions de Rupiah). De plus, depuis 2 semaines, le prix de tous les matériaux de construction a doublé à Yogyakarta. Même les panneaux en bambou (gedek) sont passés de 20.000 rupiah à 40.000 rupiah.


Au nord, le volcan Merapi est toujours aussi actif et Vincent intrigue avec grand succès auprès des ONG internationales pour obtenir de l’aide logistique, en particulier des pompes et des réservoirs. Suite à la grande nuée ardente et aux coulées de lave et de magma qui ont recouvert Kaliadem et le bunker, les canalisations qui acheminent l’eau du sommet du volcan dans les villages haut perchés sont toutes broyées. Lundi, je suis montée voir le gardien du volcan, mbah Maridjan. Son village est blanc de cendres. La nuée ardente est passée à 500 m de sa maison. Ils n’ont plus d’eau. Les vaches n’ont rien à boire et elles ne peuvent brouter l’herbe couverte de cendres et de souffre. Certains paysans désespérés bradent leurs vaches à des spéculateurs sans scrupule qui les leur achètent à très bas prix. Les ONG internationales ont du mal à comprendre la culture « villageoise » javanaise. Elles ont l’habitude d’intervenir dans des camps de réfugiés. Or, aussi bien pour les victimes du séisme dans le sud, que les habitants du volcan dans le nord, les gens ne se sont pas regroupés dans des camps mais restent dans leur village. Sur le volcan, les femmes et les enfants dorment dans les camps en contrebas, une partie des hommes restent en haut, dans les villages, et dans la journée, tout le monde remonte dans le village pour s’occuper des bêtes et des champs. IL faut donc des pompes à eau et citernes pas uniquement dans les camps de réfugiés, mais aussi dans les villages. Dans les camps, les réfugiés deviennent les « objets » des ONG, facile à gérer et à organiser. Dans les villages, les gens, mêmes victimes, demeurent tous « souverains ».

C’est remarquable d’observer cela ici, aussi bien du côté du séisme que du volcan. Je voudrais expliquer pourquoi, bien que nous soyons très occupés et concentrés sur Bebekan, le séisme et le volcan sont liés dans notre action et notre coeur. Pendant plus d'un mois, en avril et mai, tout le monde avait les yeux rivés sur le volcan, la terreur d'une éruption fatale. TOut le monde ou presque trouvait que mbah Maridjan le gardien du volcan, s'entêtait inutilement et dangereusement à vouloir rester dans son village, à refuser l'évacuation. Puis soudain, c'est la terre qui a tremblé au sud. Tous les secours se sont concentrés vers le sud, oubliant le volcan. Les seules personnes vigilantes ont été SAR: dès samedi 27, ils se sont divisés en deux groupes: la moitié des effectifs en bas sur le séisme, la moitié est restée sur le volcan. Comme je travaille avec Asep de SAR sur Bebekan, depuis que les blessés du séisme ont été évacués, en fin de journée, après Bebekan Asep monte pratiquement tous les soirs au posko relawan siaga Merapi de SAR. Souvent je l’accompagne en voiture car leur poste est à seulement 15mn de ma maison. Je me trouve donc informée de tous les problèmes là-haut, surtout le jour de l''énorme nuée ardente sur Kaliadem. Et puis le gardien du volcan m’ayant adoptée comme membre de sa famille, je ne peux l'oublier. Depuis le séisme, les gens ne pensaient plus au volcan. A tel point que les pompiers Sans frontières français sont venus uniquement avec du matériel médical pour les blessés du séisme. Lorsqu'il y a eu la nuée ardente et que je les ai conduits au posko du Merapi la nuit pour l''opération sauvetage des deux hommes dans le bunker, ils n'avaient pas d'équipement anti-feu! Par ailleurs, sur un autre plan, le volcan représente la verticalité (spiritualité), les villages du sud détruits par le séisme l'horizontalité (le "bas-monde), et pour bien agir il faut s’efforcer de cultiver l'équilibre entre ces deux axes, voir même se situer à leur intersection. Je me suis aperçue de cela seulement lundi soir, au retour de chez mbah Maridjan. Nous sommes allés voir aussi le Banian Blanc et la Pierre Eléphant au milieu d'un univers lunaire, noyé, brulé par les cendres, juste là où se trouve également le bunker. Nous ne nous sommes pas attardés car c'était très dangereux, à tout moment une nouvelle nuée ardente pouvait surgir et comme le volcan était couvert, que le brouillard du soir tombait, on ne l'aurait pas vu arriver. De plus, les antennes qui enregistrent le son d’une nuée ardente en formation ont été endommagées par l’éruption de mercredi dernier, si bien que les secouristes du SAR ne captent plus ce son alarmant sur leur radio et leur talkie walkie et ne peuvent donc plus transmettre aucune alerte. Mais les volontaires de SAR qui connaissaient tous mon livre "Le Banian Blanc" (sur les mythes autour du volcan Merapi, les rêves du gardien du volcan, les deux sites sacrés que sont le Banian Blanc et la Pierre Eléphant - 1998) voulaient absolument me montrer le miracle: la nuée ardente et les coulées de lave sont passées derrière le banian blanc et se sont arrêtés à la pierre éléphant, exactement conformément à la légende que mbah Maridjan raconte dans le « Banian Blanc. » : « La Pierre Eléphant est une histoire ancienne, du temps où la première coulée de lave est descendue sur le sud et a creusé la rivière de la montagne Anyar. D’après cette histoire, la lave et les pierres volcaniques se sont brusquement arrêtées dans leur course pour épargner une femme enceinte. Depuis, personne n’a jamais osé déranger cette pierre ni la détruire… »
Merci et à bientôt,Elisabeth