Village de Bebekan

Maison du corps maison du coeur

mardi, août 08, 2006

BEBEKAN 5

Mercredi 7 juin,



Deux pompiers bénévoles de Pompiers Humanitaires se sont proposés de venir faire un tour d’inspection à Bebekan. Ils ont inspecté les maisons qui tenaient encore debout, toutes sont pratiquement à détruire sauf deux que les habitants voulaient détruire aussi car ils sont traumatisés à la vue de la moindre fissure même superficielle sur les murs. Les pompiers leur ont dit que ces deux maisons étaient en bon état. Les villageois voulaient aussi détruire le préau au sommet de la colline, à coté du cimetière, qui sert à accueillir une fois par an la cérémonie de Nyadran, la fête des ancêtres. Les piliers en béton étaient fissurés, ils avaient peur qu’ils s’écroulent sur leurs têtes, mais les pompiers leur ont dit que ce n’était que des fissures de surface et que le préau était en parfait état aussi. Ils leur ont par contre dit de détruire en priorité une vaste masure chancelante au sommet d’un petit promontoire surplombant le chemin du village. SI la masure s’écroule, elle risque de tomber sur le chemin très passant.

Mais les villageois nous ont dit qu’ils n’osaient pas l’abattre parce que c’était en fait un tombeau qui appartenait à une famille qui n’habitait plus le village. Il leur faut donc demander au préalable l’autorisation à cette famille. Nous avons fait une nouvelle distribution de bottes en caoutchouc, de lunettes de protection pour les hommes qui démolissent les ruines. Les étudiants ont établi sur leur campement un rendez-vous médical chaque soir, ils nettoient les plaies avec des compresses stériles, donnent les médicaments prescrits par les médecins de passage. Ils tiennent une liste de tous les villageois qu’ils soignent avec leurs symptômes etc…Nous avons proposé aux villageois de leur racheter leurs instruments de musique détruits dans le séisme, cela les ravit. Déjà chaque soir, ils jouent sur des morceaux de bambous et des bidons d’essence en plastic. Les instruments sont des instruments populaires, bon marché, mais qui sont difficile à trouver car ils doivent être bien fabriqués car les joueurs n’utilisent pas d’amplificateur. Le son du « reog » porte à plus de 2kms à la ronde, si les instruments sont justes. Jouer cette musique et pouvoir danser est la seule occasion de détente le soir pour ces hommes qui toute la journée travaillent sans rétribution financière dans la poussière et sur des montagnes de gravats, les ruines de leurs propres maisons. Ce n’est donc pas un superflu mais une chose essentielle qui les rassemble autour de leur identité villageoise, détruite matériellement, mais non pas spirituellement. Ils nous ont montré une ancienne bâtisse qui abritait pendant quelques années une école maternelle qui a été abandonnée, faute d’argent pour fonctionner. La bâtisse est très endommagée, mais nous avons émis l’idée avec eux de la raser et de construire sur son emplacement un «sangar », une maison de la culture, soit un pavillon ouvert (pendopo) de 9m sur 8m avec une petite partie fermée par des portes en accordéon de « warung » (kiosque) pour y installer une petite bibliothèque pour les enfants. Les musiciens et danseurs de « réog » pourront aussi utiliser ce lieu pour leurs répétitions, et cet espace pourra abriter les diverses activités de l’après-midi pour les enfants. Nous allons avec un architecte bénévole et les gens de Bebekan établir des plans, le coût, sachant que ce seront les villageois eux-mêmes qui construiront le lieu sur la base volontaire du « gotong royong » (entre-aide villageoise). Mais ils veulent bien sûr travailler d’abord au déblayement des ruines avant toute chose, ce qui peut prendre encore plusieurs semaines. Ils transportent les gravas dans des brouettes en bois à bout de bras jusqu’aux chemins du village qu’ils comblent ainsi. Nous allons trouver un camion pour les soulager un peu et faire avancer le déblayement plus vite.En attendant, un ami nous a obtenu par l’ONG Atlas une vraie tente de toile genre armée (jusqu’à présent les villageois dorment sous des bâches en plastic suspendues à des bambous) sous laquelle nous allons organiser dès demain dimanche les activités pour les enfants.

Les étudiants indonésiens établis en « posko » dans le village s’occuperont de ces activités. Nous apportons demain des cahiers de dessin, un tableau blanc, de la peinture. Par ailleurs, quatre étudiants indonésiens de Jakarta sont arrivés ce soir pour aider au nettoyage des gravas. Un Marocain travaillant comme entrepreneur dans le bâtiment à Bali, Midu, est venu bénévolement pour installer de façon extrêmement professionnel les câbles électrique et les néons sous chaque tente et le long des chemins du village. Nous avons acheté ce matin plusieurs centaines de mètres de câbles à cet effet. Midu va encore passer toute la journée de demain à l’installation électrique. Il est assisté par un jeune chanteur de hip-hop de Jakarta, Gerry, dont la femme vient d’accoucher d’un bébé prématuré à Yogyakarta.

Les villageois nous ont encore dit hier que la seule aide du gouvernement qu’ils ont reçue depuis 13 jours se résume à deux sacs de 25 kgs de riz, deux cartons d’huile et 4 couvertures. Aucune ONG internationale n’est encore entrée dans leur village pour les aider, sinon les pompiers bénévoles sous notre conduite. Le gouvernement a annoncé qu’il versera 90.000 rupiah (8 euros) par mois et par personne sinistrée (dont la maison a été détruite). Pour une famille de deux enfants, cela fait 360.000 rupiah par mois ce qui est déjà un petit soutien quand on sait que le salaire minimum mensuel dans la région de Yogyakarta est inférieur à 600.000 rupiah. Le chef du village nous a dit que le total de l’argent lui sera remis et qu’il a la charge de la distribution. Mais il estime que tous les gens du village y ont droit, car même les rares personnes dont la maison a résisté au séisme sont affectées, toutes participent au gotong-royong, mettent tout leur temps et leur force de travail au nettoyage des maisons des autres et du village. Il répartira donc la somme totale à égalité entre chaque personne de Bebekan. Une des spécialités des femmes de Bebekan est la fabrication des « emping » sorte de chips plates faites avec un gland rouge, le melinjo. Sur la petite colline du village poussent ces arbres mais pas en nombre suffisant. Les femmes vont acheter les glands chez un fournisseur, elles les rapportent au village, les font éclater dans du sable brûlant, les pilent puis les écrasent en petits cercles et les font sécher au soleil avant de les faire frire. Puis elles rapportent leur production au fournisseur qui leur donne 1000 rupiah (moins de 10 centimes) pour chaque kilo d’emping. Dans les magasins, les emping se vendent à plus de 12.000 rupiah le kilo. L’idée serait de planter de manière plus dense et efficace ces arbres melinjo sur la colline de Bebekan (il faut 4 à 5 ans pour qu’un arbre produise des glands) et de trouver aux femmes du village un réseau de vente à Yogyakarta, pour qu’elles puissent vivre décemment de ce travail. Il faut savoir que les gens de Bebekan ne demandent jamais rien. C’est nous qui les questionnons chaque jour pour savoir ce dont ils ont besoin. Précisons également que les seuls frais de fonctionnement de cette aventure se réduisent à l’argent que je donne chaque jour au chef des étudiants du posko de Bebekan pour acheter de quoi cuisiner pour les étudiants campant sur place, leur essence de moto et leur carte de téléphone, un peu de papier pour établir leurs rapports, soit environ 15 euros par jour pour l’ensemble du groupe d’étudiants.


En nous mettant au service de Bebekan dans le sud de Yogyakarta, nous ne devons pas oublier non plus le volcan Merapi au nord qui est très très actif. Plusieurs soirs, je suis montée avec Asep, le coordinateur des secouristes volontaires étudiants pour le volcan et le séisme, vers les camps de réfugiés du Merapi et au-delà. Toute la nuit, les villageois sont assis en groupe sur des nattes, sur la route, face au cratère et montent la garde. Ils surveillent les coulées de lave, les nuées ardentes et quand le volcan se couvre, ils doivent identifier ses humeurs à ses grondements. Ils se tiennent prêts à donner l’alerte aux habitants qui dorment dans leur maison. Avant-hier soir, je suis montée voir le gardien du volcan, mbah Maridjan, qui m’a adoptée depuis plusieurs années comme un membre de sa famille. Le matin le Merapi avait craché une énorme nuée ardente, tous les villages proches du cratère devaient être évacués, mais mbah Maridjan restait à son poste avec quelques proches. La route d’accès au village était barrée non par

l’armée mais par les villageois eux-mêmes, non pas parce que le volcan était dangereux mais pour empêcher les TV indonésiennes et internationales de harceler le gardien du volcan qui est assailli depuis des semaines par les médias qui lui font dire n’importe quoi. Il ne reçoit donc plus aucun journaliste et s’est réfugié dans la cuisine de sa maison, sur un lit en bambou, tandis que sa femme fait la cuisines sur des braises à même le sol de terre battue. Il s’est réfugié non pas contre les nuées ardentes, mais contre les nuées de journalistes et les fous illuminés en tout genre. La folie humaine est plus dangereuse que l’éveil du volcan. L’ambiance était à la fois calme et tendue, les arbres et les toits de maisons couverts de cendres, le cratère bouillonnant de nuées ardentes et de laves juste au-dessus de nos têtes. En contre-bas de la maison, les femmes du village préparaient le repas cérémoniel et les offrandes pour la nuit. J’ai apporté à mbah Maridjan les noix de coco que les gens de Bebekan m’ont donnés pour le village du volcan.
Elisabeth