Village de Bebekan

Maison du corps maison du coeur

lundi, novembre 27, 2006

BEBEKAN 14



Les 52 maisons plus que rudimentaires sont terminées. Nous décidons d’une réunion avec tous les villageois pour annoncer la « clôture officiellement » de ce programme de reconstruction. C’est l’occasion aussi de satisfaire toutes les dernières demandes de ceux qui n’ont pas eu droit à une maison plus que rudimentaire, soit parce qu’ils ont eu les moyens de s’en construire une eux-mêmes avant, soit parce qu’ils ont recollé leur maison en briques. Nous savons que beaucoup réclament encore du ciment et des tuiles. Pour ne pas faire une réunion vaine, comme ces réunions bureaucratiques dont les gens de Bebekan sont las parce que chaque fois le gouvernement leur dit que l’argent pour la reconstruction va tomber incessamment et ne tombe toujours pas, pour que donc cette réunion débouche directement sur du concret et ne soit pas juste des promesses en l’air, Asep a évalué la veille avec le chef du RT1 les derniers besoins, les dernières « plaintes ». Nous achetons le matin même encore 95 sacs de ciment, 5000 tuiles et quelques bambous.


Nous quittons ma maison sur les pentes du volcan Merapi en fin d’après-midi, le ciel est noir, le vent violent, les éclairs somptueux… la mousson arrive, il se met à pleuvoir des trombes d’eau. Dans le sud de la ville, il pleut à peine. A Bebekan, il y a eu juste une brève averse. La réunion se tient sur des nattes, sur la terrasse de la maison de Pak Jamhari, l’artiste qui sculpte les masques de reog et qui a dessiné le modèle type de la maison plus que rudimentaire à partir de celle qu’il s’est reconstruite lui-même, sans nous avoir demandé aucune aide.

J’ouvre la réunion en célébrant le dévouement du chef du RT1 qui depuis des semaines essuie toutes les plaintes des villageois alors que lui-même n’a rien demandé et encore rien reçu pour sa maison complètement détruite. Il habite avec sa femme et son vieux père dans l’étable, la vache étant sous une bâche plastic à côté, entre leur lit et la TV. J’explique que si le chef du RT1 refuse de donner du ciment ou des tuiles à quelqu’un, ce n’est pas de son fait, c’est conformément à nos instructions. Il s’est vraiment sacrifié pour les gens de son village. C’est un homme remarquable. Nous notons ensuite sur une feuille de papier chaque demande sans promettre de pouvoir la satisfaire à 100% : ici 5 sacs de ciment, là 300 tuiles etc… Ensuite Asep et moi faisons rapidement l’addition : la demande correspond à peu de choses près aux matériaux que nous avons fait livrer le matin même. Nous pouvons donc la satisfaire immédiatement et clore en paix, ce soir même, le programme de reconstruction. Nous lisons donc à haute voix l’attribution finale par personne du nombre de sacs de ciment et de tuiles : tout le monde est étonné et ravi de voir que sa demande est satisfaite à 100%. Et chacun sait exactement ce que le voisin a reçu. Nous attribuons aussi d’office 10 sacs de ciment au chef du RT1 qui ne demande toujours rien.


Alors que chacun s’apprête à embarquer son quota, le vent se lève, le tonnerre gronde, une violente averse tombe et le courant électrique saute. Pluies et ténèbres. Les femmes apportent deux lampes à pétrole. « Comme au temps des Hollandais ! » dit quelqu’un dans le noir. Je demande : « Quand l’électricité est-elle arrivée à Bebekan ? – En 1987. -1987 ? Alors que Bebekan n’est qu’à 15 kms de Yoyakarta ! Les lampes à pétrole, ce n’est donc pas le temps des Hollandais seulement, mais aussi le temps de la dictature Soeharto et du soit-disant grand développement économique de l’Indonésie. Nous nous regroupons autour du cercle de lumière des deux lampes à pétrole posées sur une chaise. Personne n’ose encore le dire, mais l’ambiance n’est ni celle du temps des Hollandais, ni celle de la dictature militaire, mais celle du premier soir du tremblement de terre. Ce soir là, c’était aussi les ténèbres et la pluie torrentielle. Au milieu des ruines. Lentement, les langues se délient et l’étrange nostalgie de cette première nuit du séisme remonte. Quelqu’un raconte comment il n’avait pas dormi de la nuit, accroupi sous un arbre, les enfants entre ses jambes et dans ses bras, trempés. Et sans cesse de nouvelles secousses, et le tonnerre. On ne savait plus si c’était la terre ou le ciel qui tremblait. Un autre homme raconte la rumeur du tsunami le matin même, les gens des autres villages qui courent se réfugier dans le cimetière de Bebekan, sur la colline, et comment en passant devant une des rares maisons non détruite du village où les gens de Bebekan ont tenu à célébrer le mariage prévu, leur est distribuée une poignée de riz avec de la sauce dans une feuille de teck arrachée à l’improviste aux arbres alentour. Sans cette poignée de riz du mariage, tous ces gens (un millier) n’auraient rien mangé de la journée. Tandis que tout le monde parle, je remarque que Pak Hadi, qui a perdu un bras, broyé dans une machine à décortiquer le soja, et Pak Miskijo, qui est toujours invalide après avoir reçu le mur de sa maison sur sa hanche lors du séisme, sont adossés l’un contre l’autre. Est-ce le hasard des ténèbres ou la fraternité instinctive des deux « mutilés » du village ?


Le plus loquace est le vieil homme qui était toujours jusque là grincheux, celui dont la maison est toute fendue mais qu’il se refuse à abattre. Ce soir, il est très gai. Avec l’aide qu’il a reçue, il a construit une cabane juste devant sa maison, sur le chemin principal du village où passent tous les enfants le matin pour aller à l’école. Situation hautement stratégique. Dans cette cabane, sa femme a ouvert « un warung », une gargote où elle vend de 5 à 7 heures du matin, du « bubur » (riz très cuit, comme une soupe). Ca marche très bien. Elle cuisine en fin d’après-midi, et se relève vers une heure du matin pour faire frire les petits poissons. Autrefois, elle vendait des bijoux en argent à Bandung, ville à 500 kms à l’ouest de Yogyakarta. Elle y allait plusieurs fois par mois en train. Mais il y a deux ans, s’est tenu à Bandung le congrès Asia-Afrique (réplique du célèbre congrès des pays non alignés dans les années 50) et les autorités de la ville, pour faire propre, ont viré tous les vendeurs ambulants dont elle était. Elle a fait faillite. Elle jouait aussi du gamelan dans les hôtels de Yogyakarta pendant des années. Mais tout s’est arrêté en 2002 avec la bombe de Bali qui a fait fuir tous les touristes. Sa vraie spécialité est la fabrication de corbeilles, plateaux et nattes en feuilles de pandanus tressées, mais ce n’est plus rentable. Son mari, le vieux monsieur grincheux, est cordonnier. Tous les matins, il prend le bus pour Yogyakarta, il s’installe au coin des murailles du palais, avec rien, aucun stand, car il n’a pas d’autorisation. Juste sa caisse de cordonnier et il répare les chaussures des passants. Quand il pleut, il doit s’arrêter de travailler car la colle ne prend pas. Il pourrait faire cordonnier à Bebekan pour économiser le bus (4000 rupiah aller-retour), mais aucun des habitants ne payerait 5000 rupiah (45 centimes) pour se faire recoudre une chaussure. En ville, si.


Pak RT1 nous montre le projet d’un ensemble de 4WC déposé par une ONG internationale. Un bâtiment en béton très laid, genre WC de camping de plage en France, avec une petite tour pour la citerne. Le RT1 a refusé le projet parce que d’une part il n’y a pas l’espace dans le village pour construire un tel bâtiment. Il n’y a pas de terrain communal assez vaste, c’est pourquoi nous avions fait le projet de 6 WC publics greffés autour de 6 puits répartis dans tout le village. Deuxièmement : qui va payer l’électricité de la pompe à eau ? A Bebekan, à part la maison de pak Jamhari, tous les gens tirent l’eau à la main au puits.

Comme nous avons clos le chapitre reconstruction, nous avons aussi fait les comptes.
Pour la reconstruction nous avons dépensé en tout 85 millions de Rupiah. Nous avions établi un devis, trois mois plus tôt, maison par maison, d’un montant total de 101 millions de Rupiah (environ 9.000 euros). Nous n’avons donc pas dépassé le budget.
Vous verrez le détail sur le tableau plus bas (il faut cliquer) mais voici les sommes dépensées pour les divers matériaux :


Bois de cocotier : 47.676.000 Rupiah (environ 4.500 euros)
Ciment : 8.111.000 rupiah (environ 650 euros)
Bambous : 10.160.000 rupiah (environ 900 euros)
Tuiles : 9.174.000 rupiah (environ 820 euros)
Sable : 1.000.000 rupiah (90 euros)
Outils : 3.836.000 rupiah (environ 300 euros)
Salaires charpentiers : 5.960.000 rupiah (environ 500 euros)

Depuis le deuxième jour après le séisme, nous avons dépensé en tout 176 millions de Rupiah, soit environ 16.000 euros. Sur ces 16.000 euros qui proviennent exclusivement de vos dons, c'est-à-dire de dons personnels d’amis (seule une association nous a versé 2000 euros, à savoir AISA, l’association soufie du Cheikh Bentounès, mais il s’agit aussi là d’un don d’amitié même s’il a transité par une association), nous avons dépensé 1.500 euros, soit 10%, en frais opérationnels. A partir du 15 août, nous avons dissout le poste des étudiants. Nous n’étions donc plus que deux à nous occuper de la reconstruction, en collaboration étroite bien sûr avec le gens de Bebekan, à savoir Asep et moi. J’ai donc versé à Asep des frais de fonctionnement d’un montant de 90 euros par mois pour payer son essence et pour qu’il puisse manger car une grande partie de son temps était consacré à Bebekan. Nous avons aussi acheté une moto d’occasion, à 500 euros. Il n’avait aucun moyen de transport et comme je n’allais plus moi-même tous les jours en voiture à Bebekan, c’est Asep qui s’y rendait quotidiennement pour assurer les commandes et les livraisons des matériaux et contrôler le travail. Pendant un mois, il a utilisé la moto de ma fille qui ne pouvait plus conduire, s’étant cassé le bras lors d’un séisme secondaire. Mais quand ma fille a repris sa moto, il fallait trouver une solution. Aller en bus à Bebekan du nord de la ville où Asep habite est une longue aventure. Nous sommes à 35 kms au nord de Bebekan. L’autre achat, qui remonte au mois de juillet, est un ordinateur portable à 500 euros. C’est Asep qui a créé le blog et le tient à jour. Sachant que la collaboration avec Bebekan va très certainement se poursuivre dans les mois qui viennent sous la forme d’un petit centre culturel, la moto et l’ordinateur continueront à servir. Cliquer ici pour tableau des dépenses.


Il nous reste encore miraculeusement 33 millions de rupiah (environ 3.001 euros). Je dis miraculeusement, car depuis le début de cette aventure, nous n’avons jamais fait d’appel de dons. Tous les dons ont été spontanés. Le numéro de mon compte en banque ne figure pas sur le blog. C’est délibéré. Nous ne voulons pas renverser cette logique économique magique qui nous guide depuis le début à Bebekan, à savoir : nous n’avons pas fait de budget en disant : voilà, nous avons besoin de tant d’argent pour ceci et cela, si vous voulez bien nous aider. Non. Dès que j’ai reçu la première somme, à savoir de mes parents, don spontané, sans qu’ils sachent à quoi j’allais le consacrer, je me suis dit : que puis-je faire avec cette somme ? Acheter à manger, et des lampes de poche et des bâches plastic. C’était cela l’urgence au lendemain du séisme. Puis un nouveau don est arrivé : que puis-je, que dois-je acheter avec ? Des cordes et des masques pour détruire les pans de murs encore debout et menaçant de s’écrouler. Et de jours en jours, de semaines en semaines, nous avons continué à improviser au fil des dons qui arrivaient spontanément. Nous nous disions : nous aidons Bebekan parce que nous recevons de l’argent, et quand nous n’aurons plus d’argent, nous arrêterons. Notre mission sera terminée. Les premières semaines, nous ne pensions pas un instant nous occuper de reconstruire les maisons de Bebekan. Parce que les villageois eux-mêmes n’y pensaient pas : ils étaient encore trop occupés à déblayer les ruines. Cela ne nous traversait même pas la tête. C’était là une tache considérable sous la responsabilité du gouvernement indonésien.
Nous avons investi dans la reconstruction intangible : le groupe de reog, les repas communautaires, les uniformes et fournitures scolaires…Nous ne pensions construire que des espaces communautaires, comme notre rêve de petit centre culturel qui aurait été le seul lieu à l’abri, confortable pour que les villageois et leurs enfants se réunissent en attendant la reconstruction de leur maison. Ou encore des wc publics. Mais début août, nous avons vu que nous avions près de 8000 euros, malgré les dépenses précédentes. Que l’aide du gouvernement n’arrivait pas, mais que la mousson, elle, allait arriver dans deux mois et qu’une grande partie des gens de Bebekan habitait sous des plastics. Ils commençaient vraiment à devenir soucieux. Nous avons alors établi un devis, maison par maison, et nous avons vu que nous avions assez pour nous lancer dans les travaux. Nous avons donc fait des réunions avec les gens de Bebekan en leur annonçant que nous allions commencer les travaux, sans promettre de terminer à 100% ; mais que chaque famille recevrait à égalité. Et nous avons terminé à 100%.
Ce qui est miraculeux, c’est que cette logique économique par l’absurde, basée sur l’improvisation de jour en jour et portée par un réseau d’amitiés spontané et une sorte de grâce, marche. Elle fonctionne depuis six mois à Bebekan.

SANGGAR GINO



Qu’allons donc nous faire des 3.001 euros restants ? Nous avons toujours le rêve du petit centre culturel qu’on appelle ici « sanggar ». Depuis le tout début, les gens de Bebekan nous avaient montré un terrain qui appartenait, disaient-ils, au village. Il est situé au pied de la colline, un peu à l’écart des habitations, juste en face de l’océan de rizières. En fait, il grimpe sur la pente de la colline presque jusqu’au niveau du cimetière. En bas a été construit en 1983, par le comité du village, une école maternelle rudimentaire. Elle a fonctionné trois ans, puis à été abandonnée car les gens du village n’avaient plus les moyens de payer le personnel. La vermille a dévoré les poutres et le séisme a éventré les murs. Certains disent que cette maison est hantée. Le site est très beau, comme à un carrefour de vents, si bien qu’il y fait toujours frais avec une très vaste vue sur la plaine.

Depuis six mois, chaque fois que nous passons devant cette maison écroulée, nous pensons au « sanggar » et le voyons. Mais tout l’argent que nous pensions consacrer éventuellement à ce petit centre est parti dans la construction des maisons. Et c’est tant mieux. Nous avons tout de même du mal à quitter Bebekan sans avoir construit au moins une structure rudimentaire pour les enfants, avec une modeste bibliothèque. Avec les 3.200 euros restants, c’est une chose que nous pouvons faire. Mais rapidement, nous apprenons que le terrain en question n’appartient pas au village. C’est un terrain « gantung », c'est-à-dire « en suspension ». Il appartenait jadis à un homme dénommé Gino. En 1942, alors que Gino a 30 ans, qu’il est encore célibataire et que ses parents sont morts, les Japonais, qui ont envahi l’Indonésie, le réquisitionnent et l’embarquent pour le travail forcé à Sumatra. Il ne reviendra jamais à Bebekan. Un homme de Bebekan en 1985 se rend à Sumatra et rencontre la femme de Gino et ses trois fils qui lui disent que Gino serait mort en 1965 dans un camp de détention pour les communistes ou soupçonnés comme tels par le général Soeharto qui vient de prendre le pouvoir dans un bain de sang. Quelques années plus tard, la femme et deux des fils meurent. Reste un fils dont on a perdu la trace.
Nous allons voir le Pak Camat (le chef du canton) qui depuis longtemps souhaite nous rencontrer pour nous remercier de l’aide que nous apportons à Bebekan. C’est un homme intelligent, sympathique et enthousiaste. Et surtout rapide et efficace. Nous lui racontons notre projet de « sanggar » et lui demandons son avis quant à ce terrain. Il nous conseille d’y renoncer et de louer un terrain pour 20 ans par exemple. Mais nous lui disons que c’est ce lieu qui nous fait rêver depuis le début. Quelques jours après, le Pak Camat vient à Bebekan et les gens du village nous servent du thé sur la terrasse délabrée de l’ancienne école maternelle. Là le Pak Camat nous dit : « Je comprends votre entêtement, c’est l’endroit de rêve ! » Il donne
aussitôt des instructions à son secrétaire pour retrouver le titre de propriété au cadastre. Quelques jours après, il organise une réunion, un soir, à Bebekan, avec tous les anciens du village. Sont présents aussi le chef de la commune et les deux chef RT1 et RT2 de Bebekan. Il s’agit en fait d’une « musyawarah », mot arabe signifiant réunion de délibération. La décision prise lors d’une musyawarah a valeur juridique, selon la loi coutumière, au même titre que loi républicaine de l’Indonésie. On a recours à une « musyawarah » quand la loi républicaine ne peut plus légiférer. Ce qui est le cas pour ce terrain « abandonné » depuis 64 ans, mais avec encore un héritier disparu dans la nature. Les gens de Bebekan craignaient que, suite à notre visite au chef du canton, la commune récupère le terrain et en fasse une terre communale, ce qui aurait dépossédé les gens de Bebekan de cette terre en la faisant entrer dans le cercle infernal de la bureaucratie locale. Mais non. Le secrétaire du chef du canton lit tout d’abord la généalogie de la famille Gino. Puis il rappelle comment fonctionne le droit de succession. Il demande à l’homme qui a rencontré la famille de Gino à Sumatra de témoigner. Il note qu’il reste un héritier. Il demande à l’assemblée des anciens s’ils sont d’accord qu’Elisabeth construise un « sanggar » sur ce terrain, au service du village. « Oui » à l’unanimité. Il demande ensuite s’ils sont d’accord pour restituer le terrain dans le cas où l’héritier reviendrait. « Oui » à l’unanimité. Etant bien noté que les bâtiments et le matériel du « sanggar » resteront dans ce cas propriété de la fondation que nous nous engageons à former avec les villageois pour ce « sanggar ». Suite à cette délibération, nous obtenons un document officiel, signé par tous les membres de la « musyawarah », nous donnant la jouissance légale de ce terrain pour une durée à déterminer lors de la création de la fondation. Le chef du canton n’a demandé aucune rétribution ni aucun dessous de table pour toute cette affaire. Je crois qu’il rêve déjà avec nous de ce « sanggar ». D’autant plus qu’un mécène (d’entreprise) inattendu s’est proposé de financer non seulement la construction du « sanggar », mais aussi deux ou trois années de frais de fonctionnement. Sa proposition est à l’étude à la fondation de son entreprise. Dans ce cas, nous pourrions élargir les activités du « sanggar » et construire un centre sur plusieurs niveaux, le terrain s’y prétant : un « pendopo », pavillon ouvert en bas pour les répétitions de danse et les spectacles, au niveau intermédiaire du terrain les toilettes et la cuisine, et au niveau supérieur la bibliothèque, le bureau de la fondation et deux chambres comme « résidence d’artiste », pouvant accueillir, outre des artistes étrangers, des étudiants ou tout autres personnes volontaires pour enseigner pendant une semaine ou plus une chose qui les passionnent. Les amis de Bebekan, dont vous êtes, seraient aussi les bienvenus. Si ce mécène inattendu se lance dans cette aventure (il devrait nous le faire savoir dans un mois au plus tard) le « sanggar » conservera toutefois un caractère, une architecture et une économie de village. Mais quoi qu’il arrive, nous ferons un « sanggar », même s’il doit être très modeste. Nous reviendrons dans Bebekan 15 sur la mission et le fonctionnement de ce « sanggar ». Sur le blog, vous pourrez voir son futur emplacement sur le site de l’école maternelle à l’abandon. Nous lui avons déjà trouvé un nom : Sanggar Gino, en hommage au destin tragique de cet homme. «Gino » en javanais signifie « utile », « bénéfique ».

Avant de conclure, juste un mot à propos de Pak Miskijo, le seul grand blessé de Bebekan. J’avais pris rendez-vous avec le chirurgien qui a opéré ma fille et qui me semblait bon. Mais il est tombé malade et le rendez-vous a été repoussé à des temps obscurs. L’ami Vincent m’a alors aussitôt obtenu un rendez-vous auprès d’un chirurgien dont la femme est directrice d’une petite clinique à Imogiri, l’épicentre du séisme. Au lendemain du tremblement de terre, c’était le seul bâtiment et la seule clinique encore debout. Ils ont donc soigné en une semaine quelques 15.000 blessés, tous gratuitement.
Le gouvernement leur promettant de les rembourser après. Le chirurgien opérait à tour de bras, sa clinique, qui jusque là n’avait pas l’autorisation d’opérer, a reçu le statut de « field hospital » pendant trois mois. Les trois mois passés, le gouvernement leur a retiré ce statut et ne leur a rien remboursé du tout. Une Indonésienne fortunée s’est éprise de cette clinique, de sa directrice et de son mari et a décidé de rassembler des fonds pour leur construire un véritable hôpital. Vincent est devenu ami avec cette femme fortunée et lui a obtenu par l’OMS, des caisses de matériel médical très coûteux et précieux. Le réseau de solidarité jouant, le chirurgien a examiné Pak Miskijo gratuitement et avec une gentillesse et une attention extrêmes. Son diagnostic : opération de la hanche réussie, mais atrophie grave de la jambe qui ne fonctionne pas depuis six mois. Il lui a aussitôt retiré une béquille pour l’obliger à s’appuyer sur sa jambe. Et pak Miskijo, bien que souffrant, a commencé à marcher en ne s’appuyant que sur une béquille. Le chirurgien a constaté aussi une différence de longueur entre les deux jambes de 4cm due sans doute à la tête du fémur broyée. Il manquerait un bout d’os à sa hanche opérée. Il a donc conseillé de faire faire une chaussure orthopédique avec une semelle de 4 cm de haut. Pak Miskijo ne portant pas de chaussure, mais uniquement des tongues, rentrés à Bebekan, nous avons demandé au petit cordonnier de lui faire une tongue sur mesure, avec plusieurs semelles superposées, collées et soigneusement cousues. Avec le plein accord de Pak Miskijo, nous avons laissé une des deux béquilles chez le pak RT1 pour qu’il ne soit pas tenté de reprendre ses deux béquilles. Et il va deux fois par semaines faire de la physiothérapie à la petite clinique. Le chirurgien dit qu’il lui faudra entre trois et six mois pour récupérer son atrophie. Ma sœur, rhumatologue, qui avait examiné pak Misikjo lors de son passage à Bebekan en août, conseille tout de même de refaire faire une radio (la petite clinique trop pauvre, n’a pas d’appareil de radiographie !) et de lui faire faire le test du « rouleau », manipulation de la hanche et du genou. Nous nous en occupons.

Merci
Elisabeth