Village de Bebekan

Maison du corps maison du coeur

samedi, décembre 30, 2006

BEBEKAN 15



En ce jour de Noël, alors qu’hier soir, dans toute l’Indonésie, les membres de sécurité des deux grandes organisations musulmanes gardaient toutes les églises pour qu’il n’y ait pas d’actes de terrorisme, alors que la province d’Aceh était à nouveau envahie par l’eau, cette fois les inondations de la mousson, voici une bonne nouvelle : Carrefour Indonésie va financer la construction du « sanggar »(centre culturel) de Bebekan ainsi que les frais de fonctionnement pendant deux ans. J’avais rencontré le directeur local de Carrefour, Jean-Paul Denoix, quelques jours après le séisme, pour lui demander si Carrefour pouvait nous donner des cartables et autres fournitures scolaires pour Bebekan. Il m’avait répondu non, mais par contre il était intéressé par la reconstruction d’une école. Le lendemain matin, je l’avais conduit dans l’école primaire la plus détruite dans les environs de Bebekan, école fréquentée par tous les enfants des villages environnants. Je ne me suis ensuite plus occupée de cette affaire. Carrefour a obtenu les fonds pour la reconstruction de la fondation Carrefour en France, les travaux devaient commencer, Irawan, le responsable de la communication de Carrefour Indonésie, avait rencontré le maire de la région, nous nous étions alors retrouvés à l’école où la directrice nous avait confirmé qu’aucun fonctionnaire de la province n’était venu s’inquiéter jusque là de l’état des lieux. Et soudain, coup de théâtre : un lundi matin, la directrice appelle Carrefour : un entrepreneur envoyé par le gouvernement provincial vient d’arriver avec une équipe d’ouvriers et commence les travaux de reconstruction ! Manque de coordination ? On ne saura jamais. Irawan me téléphone, désemparé : est-ce que je connais une autre école à reconstruire ? Je lui réponds que je n’ose plus lui conseiller une autre école publique, qu’une autre embrouille bureaucratique n’est pas à exclure. Je lui parle alors de notre rêve de centre culturel à Bebekan. Il se montre tout de suite enthousiaste. Asep et moi lui faisons un budget, sans rien gonfler, avec les chiffres d’une économie de village, comme nous l’aurions fait si nous avions construit le « sanggar » avec l’aide des amis de Bebekan. La fondation Carrefour à Paris refuse, mais la direction locale indonésienne décide de financer elle-même ce projet.


Carrefour a 27 magasins en Indonésie, dont 17 à Jakarta, la capitale. Le premier magasin à Yogyakarta venait d’ouvrir en avril 2006, quand un mois plus tard le tremblement de terre a éventré la façade du tout nouveau centre commercial dans lequel il se trouvait. Comme toutes les autres grandes surfaces, Carrefour est accusé en Indonésie de détruire les marchés locaux et l’économie paysanne. Leur publicité est centrée sur les petits producteurs locaux à qui ils achètent directement la marchandise pour la distribuer dans leurs magasins. Il est clair que Carrefour se retrouve dans ce projet de petit centre culturel local, au centre de la campagne la plus densément peuplée du monde, frappée de plus par un séisme. Mais cette collaboration est avant tout une affaire de personnes et repose sur le respect et la confiance que Jean-Paul Denoix et Irawan nous témoignent discrètement depuis sept mois, et inversement.




Asep et moi avons passé toute la journée d’avant-hier à emmener les deux « arpenteurs » de Carrefour dans les collines de Kulon Progo, à une heure et demie à l’ouest de Yogyakarta, pour qu’ils mesurent très précisément les deux maisons anciennes que nous avons trouvées, portes, poutres et charpentes en bois de teck, et que nous allons transportées, comme des maisons kitt, sur le terrain du sanggar de Bebekan. Un « joglo », pavillon ouvert, et une maison « limasan », maison de village traditionnelle javanaise. L’architecte va venir passer plusieurs jours à Bebekan pour adapter nos idées au terrain et aux contraintes de construction anti-sismique. Le propriétaire du terrain d’à côté a creusé dans la colline pour fabriquer des briques en terre, si bien que le terrain du sanggar est en train de s’effondrer du côté entamé. Ce sont les racines de quelques vieux arbres qui le retiennent encore. L’affaire n’est donc pas si simple et l’aide d’un expert est plus que bienvenue.




Dans les jours qui viennent, nous allons faire une réunion avec les gens de Bebekan pour noter leurs désirs autour de ce « sanggar ». Asep et moi avons déjà dressé une liste de prérogatives. Avec une petite partie de l’argent qu’il nous reste, nous allons, dès début janvier, payer des cours d’informatique intensif à deux adolescentes du village très brillantes qui seront ensuite employées par le sanggar pour enseigner l’informatique aux enfants et adultes du village, l’idée étant d’employer le maximum de gens de Bebekan pour le fonctionnement du sanggar, en leur donnant une formation au préalable. Il se trouve que le lycée où ses deux adolescentes sont scolarisées, a opté comme deuxième langue étrangère pour le français. Chose rare en Indonésie. Nous allons donc voir si nous ne pouvons pas organiser des cours de français complémentaires au sanggar en collaboration avec le Centre Culturel Français de Yogyakarta dont la nouvelle directrice, Marie Lesourd, est remarquable. Marie a d’ailleurs déjà programmé dans le sanggar, fin mai 2007, la compagnie de marionnettes pour enfant « C’koi ce cirk » qui, dans le cadre d’une plus vaste tournée en Indonésie, viendra passer deux jours dans les résidences d’artistes pour faire un atelier et un spectacle.


Un ami « dalang », marionnettiste de théâtre d’ombre, Slamet Gundono, m’a conseillé d’appeler le sanggar : « Sanggar Gino Guno ». Sanggar Gino, c’est trop court pour un nom javanais. IL faut un redoublement légèrement décalé, une allitération dont la langue javanaise est si riche et friande. Ce n’est pas seulement le son qui est redoublé, mais aussi le sens, avec une légère nuance. Ainsi « gino guno » veut dire « deux fois utiles ».

Nous allons aussi donner deux millions de Rupiah (180 euros) pour réhabiliter une famille misérable de sept ans enfants installées sur un terrain de sport sur la route principale, juste avant d’arriver à Bebekan. Ces gens louaient une baraque qui s’est effondrée lors du séisme. Depuis ils se sont repliés sous une tente avec leurs sept enfants. Le père est handicapé, la mère mendie en bord de route. Le maire de la région a ordonné au Pak Camat, le chef du canton qui nous a aidé à légaliser le terrain du sanggar, de « nettoyer » cette tente qui fait mauvaise effet, à la vue de tous. Mais le pak Camat n’a pas eu le cœur d’employer ses forces de police pour virer cette famille. D’habitude, les gens pauvres comme ça, sans terre, sans maison, sont envoyés sur d’autres îles moins peuplées d’Indonésie dans le cadre du programme de « transmigration » où il leur est donné un lopin de terre. Mais l’homme étant handicapé d’une jambe, il refuse de partir car il sait qu’il ne pourra pas survivre en cultivant ce lopin de terre. Il n’aura pas la force. Hors ce programme de transmigration, il n’existe aucun filet social pour les sans logis dans la région de Yogyakarta. Pak Camat est donc allé dans le village de cette famille pour voir si la famille voulait bien accepter que le père revienne avec sa femme et leurs sept enfants. Il avait été rejeté par sa famille pour « très mauvaise conduite », il y a plusieurs années de cela. Il faut en faire beaucoup pour être rejeté par sa propre famille à Java. Mais comme dit le pak Camat, ce sont des êtres humains, aussi mauvais soit le père, on ne peut pas les jeter sur la route comme ça. La famille a finalement accepté mais il faut construire une maison rudimentaire pour les loger dans leur village. Ce sera la 53ème, j’espère que vous ne voyez pas d’inconvénient à ce qu’elle ne soit pas à Bebekan.

L’aide du gouvernement pour la reconstruction est enfin arrivée à Bebekan comme dans tous les villages détruits. IL y aura trois versements échelonnés sur quatre mois. Un total de 15 millions de Rupiah par maison de 6m sur 6.(1460 euros). Certains villages ont décidé de diviser le premier versement en autant de maisons à reconstruire, si bien que chaque famille a reçu tout d’abord 5 millions de Rupiah. Mais avec 5 millions on peu juste faire les fondations, si bien que personne n’a encore de toit. A Bebekan, les gens ont décidé de verser 15 millions tout de suite à un certain nombre de familles dont le choix a été fait en commun. Une dizaine de maisons en dur (briques) sont déjà donc construites. Comme elles sont très petites, les maisons plus que rudimentaires servent d’annexe. Ou alors la grand-mère habite dans la maison rudimentaire et le jeune couple avec les enfants dans la maison en dure, alors qu’avant le séisme, ils habitaient tous sous le même toit. Il reste beaucoup de maisons à construire, et il pleut pratiquement tous les jours désormais. Les maisons plus que rudimentaires ont permis aux gens de Bebekan de ne pas se disputer, à savoir qui sera servi le premier avec une maison en dure, puisque tout le monde a un toit pour patienter que vienne son tour. J’avais été surprise dans les premiers jours après le séisme, lorsque le sultan de Yogyakarta (également gouverneur de la province) avait annoncé qu’il refuserait l’aide des ONG étrangères pour la reconstruction des maisons en dur. Je pensais qu’il s’agissait d’une fierté mal placée. Or à présent, je constate que le sultan avait raison. 15 millions par famille, c’est peu, mais suffisant pour construire une petite maison simple. Car ces 15 millions arrivent sans aucun détournement ni corruption directement dans la poche des familles via le bureau de banque local. Une équipe de surveillance tournante veille à l’achat des matériaux conformes aux normes anti-sismiques. Et ça marche vraiment bien ! Je pense qu’en mai 2007, un an après le séisme qui a fait 1.500.000 (un million cinq cent milles) sans abris, il n’y aura plus une famille sous une tente. Tandis qu’à Aceh, deux ans après le tsunami, des milliers de personnes sont encore sous des abris de fortune, alors qu’il n’y avait que 500.000 sans abris et que l’aide internationale a envoyé des milliards de milliards de dollars. Une grande partie est allée dans la poche des petits et gros chefs locaux et les victimes du tsunami n’ont que rarement été mises à contribution pour reconstruire leur propre maison.



















































Joyeuses fêtes et à l’année prochaine.
Elisabeth