Village de Bebekan

Maison du corps maison du coeur

samedi, août 12, 2006

BEBEKAN 10



Le blog de Bebekan est enfin en ligne, avec encore quelques imperfections : bebekan.blogspot.com
La page d’entrée est en indonésien, mais il suffit d’aller sur « links » pour trouver les versions françaises et anglaises.Si vous voulez aller directement sur la version française :
bebekan-e.blogspot.com
Si vous voulez aller directement sur la version anglaise :
bebekanvillage.blogspot.com
La traduction anglaise est faite bénévolement par un ami canadien vivant à Yogyakarta, Georges. Nous avons repris les lettres en les accompagnant de photos pour que vous poussiez enfin voir les visages des gens de Bebekan.

J’envisage de mettre sur le blog la liste des bienfaiteurs de Bebekan. Si certains d’entre-vous ne veulent pas apparaître dans la liste, signalez-le moi. Je ne mentionnerai alors que les initiales. Par souci de transparence financière, dois-je noter en face des noms le montant de la donation ? J’attends vos avis. Vous pouvez répondre sur le blog ou en m’envoyant un mail.

Pendant mon séjour en Inde, les uniformes pour tous les enfants scolarisés de Bebekan ont été achetés. Nous avons pris plutôt une taille au-dessus, qu’au-dessous, pour que l’uniforme serve au même enfant au moins deux ans. Tous ont donc pu faire leur rentrée des classes (mi-juillet) vêtus de neuf.

Carrefour nous a confirmé son engagement dans la reconstruction de l’école primaire publique Krekah 3 et de l’école maternelle privée attenante. Le devis vient d’être finalisé et accepté par la direction. En attendant, la moitié des classes sont sous une grande tente. Tant qu’il ne pleut pas, ça va.

Nous avons découvert il y a 10 jours, grâce à ma sœur, Dominique, rhumatologue, venue en vacances avec sa famille à Yogyakarta et que j’ai emmenée faire une tournée de consultations à Bebekan, qu’un homme du village avait été très mal opéré du col du fémur. Cet homme s’appelle Pak Miskijo. Lors du séisme, il a reçu les murs de sa maison sur les reins. Les gens de Bebekan n’ayant pas de voiture, ils l’ont allongé sur la planche d’une porte d’une maison et l’ont transporté sur ce brancard de fortune jusqu’à la route principale où un convoi de l’armée l’a emmené alors à l’hôpital. Le premier jour du séisme, les hôpitaux débordaient de blessés. Pak Miskijo a été trimballé d’un hôpital à un autre jusqu’à ce que l’hôpital public Sarjito accepte de l’opérer d’urgence. Ils l’ont relâché deux jours après en lui donnant des béquilles mais pas la radio de son fémur cassé et opéré. Chaque fois que je passais devant sa maison à Bebekan, je lui demandais comment cela allait : il me disait que ça allait de mieux en mieux. J’avais des doutes, le voyant toujours incapable de marcher. Quand Dominique l’a examiné, il souffrait visiblement beaucoup, mais ne se plaignait de rien. Il a avoué n’être jamais retourné à l’hôpital pour vérifier les suites de son opération, alors qu’il m’avait dit y être allé deux fois après le séisme. Dominique m’a dit qu’il avait été sans doute très mal opéré et m’a conseillé de lui refaire passer une radio. J’ai appelé Handicap International qui m’a dit d’emmener Pak Miskijo à Médecins Sans Frontières installé sous des tentes sur l’esplanade devant le palais du Sultan. J’y suis allée le lendemain, on était le 3 août, mais MSF m’a annoncé qu’ils pliaient bagages à la fin août et ne prenaient plus de nouveaux patients. Et que de toute façon ils n’avaient pas de bloc opératoire. Nous avons donc finalement emmené Pak Miskijo à l’hôpital Sarjito, là où il avait été opéré. La consultation était gratuite car il est une victime du séisme, mais nous avons dû payer pour la radio car le médecin ne voulait pas en refaire une nouvelle. J’ai insisté en disant que nous payerons, et nous avons bien fait : à la vue de la radio, le médecin a reconnu en effet que l’opération avait échoué (ce n’était pas lui le médecin opérant mais un de ses confrères) et qu’il allait falloir mettre une prothèse. Une opération qui sera entièrement prise en charge financièrement par l’hôpital, nous a affirmé le médecin. J’attends le retour de ma sœur partie à Bali pour lui montrer la radio et entendre son diagnostic. Homme humble et réservé, Pak Miskijo n’a jamais osé dire qu’il n’avait pas les moyens de se rendre à l’hôpital. Il m’avait affirmé pouvoir s’asseoir à l’arrière d’une moto. Or, quand les étudiants du posko de Bebekan ont essayé de le transporter ainsi, il souffrait beaucoup trop. Ils ont donc loué une voiture pour me rejoindre à l’hôpital où je les attendais. Pak Miskijo est le meilleur charpentier du village. Les charpentiers sont très demandés actuellement pour les travaux de reconstruction, mais comme Pak Miskijo ne peut pas reprendre son travail, il fabrique des « emping » (chips locales) comme sa femme, pour survivre. Il est le seul « grand blessé » de Bebekan et nous allons tout faire pour le remettre sur pied.

Le déblayement des ruines est terminé.
Pour le projet de construction des six wc publics : grâce aux contacts de Vincent, l’ONG Cardi est venue à Bebekan pour envisager de donner les matériaux pour construire, non pas les wc ni les fosses septiques, mais la toiture (en tôle ondulée), les piliers (en bois ou bambou) et les murs (bâches plastiques) qui « envelopperont » (façon Cristo !) les toilettes que nous construirons. A la vue du niveau de destruction de Bebekan et de la gentillesse de ses habitant, ils nous ont promis de nous donner des matériaux pour plus de six wc. Cardi auparavant a déjà distribué plus d’une dizaine de kits d’outils à Bebekan : scies, marteaux, brouettes… Nous garderons précieusement de côté ces matériaux de construction de Cardi, car finalement, dans l’immédiat, les hommes de Bebekan, ont décidé de ne construire qu’un seul wc public, à savoir celui de la petite mosquée, le seul espace collectif de Bebekan. Les murs existent déjà, ils creusent la fosse septique et posent le wc. Ils en profitent aussi pour réparer l’arche de la porte qui accède au wc et qui depuis le séisme menace de s’effondrer. Nous achetons les matériaux de construction, mais les hommes de Bebekan effectuent ce travail toujours sur le principe du « gotong-royong », à savoir bénévolement.

Pourquoi cette décision de ne construire pour l’instant qu’un seul wc ? Parce que la mousson va arriver dans moins de trois mois (habituellement vers la fin octobre) et que la plupart des familles de Bebekan vivent encore sous des bâches plastiques. Ces bâches peuvent résister à la rigueur à deux jours de pluie, mais pas à six mois d’averses et de vents violents tous les après-midi et toutes les nuits. Les gens de Bebekan seront rapidement trempés et inondés. L’urgence est donc à la reconstruction de maisons rudimentaires à partir des matériaux sauvés des ruines et de matériaux complémentaires à acheter.

Les gens de Bebekan ont surnommé non sans humour ce projet de maison : RSS, initiales de « rumah sangat sederhana » (maison plus que rudimentaire).
L’idée est venue de ce que Pak Jamhari, l’artiste de Bebekan qui est le leader du groupe de Reog et qui sculpte dans le bois les masques des esprits ancestraux du village, a reconstruit en une semaine une maison de 3 X 6 m sur l’emplacement d’une ancienne pièce de sa maison effondrée, à partir des matériaux sauvés des ruines : tuiles, charpentes, panneaux de contre-plaqué, poutres maîtresses verticales. IL n’a acheté que des clous et quelques poutres de bois supplémentaires pour renforcer la structure bois en construisant une « couronne » horizontale qui maintient le tout solidaire en cas de séisme. Comme il travaille dans un atelier de sculptures destinées à l’exportation, il gagne correctement sa vie (par rapport à la moyenne des gens de Bebekan). Il a donc pu acheter lui-même les quelques matériaux manquants. Cinq ou six autres familles ont pu faire de même. Mais la plupart n’ont pas les moyens, soit parce qu’elles sont trop pauvres, soit parce que plus rien ou presque ne leur reste de leur ancienne maison.

Il y a un mois, nous n’envisagions pas de nous impliquer dans la reconstruction des maisons, mêmes rudimentaires. Nous voulions nous concentrer uniquement sur les espaces collectifs. Mais voyant que ni le gouvernement indonésien, ni aucune ONG internationale ne propose aucune aide concrète et claire à la reconstruction dans l’immédiat, nous ne pouvons attendre, car la mousson arrive.

Nous avons donc entrepris depuis quinze jours de faire l’inventaire de chaque maison : combien reste-t-il de tuiles, de poutres, de cloisons en bambou ou en bois ou contre-plaqué etc…. Quels matériaux manquent-ils pour compléter la construction d’une maison rudimentaire de 3 x 6m dont nous avons fait le plan de base, modifiable pour chaque maison (que nous mettrons en ligne dans quelques jours sur le blog avec des photos des maisons rudimentaires déjà construites et des abris sous lesquelles vivent actuellement les gens de Bebekan). Les gens de Bebekan reconstruiront eux-mêmes leur maison toujours sur le principe du « gotong-royong ». Les seuls ouvriers payés à la journée (25.000 rp, soit 2,3 euros) seront les charpentiers. Ils sont quatre ou cinq à Bebekan. Ils travailleront tous les jours et non un jour sur cinq comme les autres hommes du village, car leur savoir-faire est nécessaire sur chaque maison. Ils ne pourront donc pas travailler à l’extérieur. Ils doivent donc être rémunérés, bien qu’en-dessous du salaire journalier habituel d’un charpentier (35.000 rp). Nous sommes en train de budgéter chaque maison. C’est un casse-tête architectural, social et financier. Chaque maison, chaque famille, est un cas particulier. Impossible de faire du standard comme le font les ONG internationales qui ne prennent pas le temps de connaître la situation des villages et la mentalité de leurs habitants.

Pour vous donner quelques exemples des cas de figures posés : Asep, les étudiants du posko et moi-même avons participé aux réunions « préparatoires » avec tous les villageois de Bebekan (les hommes). Première réunion le samedi soir ( 5 août) avec les hommes du RT 1 (quartier 1), et le dimanche soir (6 août) avec les hommes du RT2. Prenons cette deuxième réunion. Comme il ne pleut pas, que la nuit est belle et que de toute façon Bebekan n’a plus de toit, nous nous réunissons à la belle étoile sur la dalle en ciment de l’ancienne maison du chef du RT 2. Des nattes multicolores sont déroulées. Du thé chaud servi avec des gâteaux de manioc à la noix de coco par la femme du chef du Rt2.

Question du chef du RT2 :-Si vos fonds ne peuvent couvrir que la reconstruction de 10 RSS (maisons plus que rudimentaires), serait-il possible d’en reconstruire 5 au RT 1 et 5 au RT2 ?Notre réponse :-Nous nous engageons à aider toutes les familles à égalité. Si nos fonds ne couvrent, par exemple, que 50% du budget total établi pour l’ensemble des 90 maisons à reconstruire, nous attribuerons une aide pour chaque maison à hauteur de 50% de son budget de reconstruction. Sachant que nous ne verserons pas d’argent liquide, par exemple : si la maison B a besoin de 8 piliers en bois et de 6 cloisons en bambou, nous lui donnerons 4 piliers et 3 cloisons, et elle devra se débrouiller pour compléter elle-même. Et ainsi de suite pour chaque maison.

Question d’un villageois :-Ma maison tient encore debout mais elle est complètement fissurée. J’ai besoin uniquement de sacs de ciment pour la consolider. Je ne vais tout de même pas construire exprès une maison RSS pour pouvoir obtenir votre aide ? Pourrais-je juste avoir des sacs de ciment ?Notre réponse :-Bien sûr, mais si votre maison est immense, nous devrons calculer le nombre de sacs de ciments nécessaires sur la base d’une maison de 3 x 6m.Question du même villageois :-Mais si avec les sacs de ciments donnés je ne peux réparer que les fissures d’une pièce de 3 X6m et que les murs des pièces voisines non réparées menacent de s’effondrer sur cette pièce, que faire ?Notre réponse :-Impossible de répondre pour l’instant, il faut examiner l’état global de votre maison et nous adapterons l’aide à cet état.

Question d’un deuxième villageois :-J’ai encore des cloisons en bambou, mais elles sont dévorées par les mites. Les mites ne sont pas arrivées à cause du séisme, elles étaient là avant. Puis-je demander une aide pour obtenir de nouvelles cloisons en bambou ?Notre réponse :-Oui.

Question d’un troisième villageois :-Si je reconstruis ma maison RSS tout de suite, en me débrouillant, pourrais-je ensuite recevoir votre aide sur les matériaux complémentaires que j’aurai achetés ?Notre réponse :-Non. Si vous arrivez à vous reconstruire votre maison tout seul, comme Pak Jamhari l’a fait, tant mieux. C’est que vous avez les moyens de le faire. L’aide ne sera pas rétroactive.

Intervention du gardien de la mosquée qui fera preuve, tout au long de la réunion, de beaucoup de hauteur d’esprit et de sens pratique : -Nous devons être honnêtes, généreux et solidaires. Ceux qui peuvent s’en sortir tout seuls doivent s’efforcer de le faire et laisser l’aide aux plus démunis et s’en réjouir.

Le budget maison par maison devrait être prêt autour du 15 août. Nous le mettrons sur le blog. Vincent le transmettra à des ONG internationales pour tenter d’obtenir des matériaux de construction. Nous prendrons ce qu’elles nous donnent, si elles nous donnent. Les ONG internationales ont des pratiques qui souvent heurtent les cultures locales et déstabilisent durablement le tissu social. Le rapport du 31 juillet 2006 de l’office des Nations Unies à Yogyakarta a l’honnêteté de le reconnaître. Je cite : « Due to different behaviors and activities of the NGOs, some confusions and conflicts have been created in the community » Ces ONG ont de plus déjà choisi « leur terrain », et se sont pour beaucoup concentrées sur les villages de la région de Klaten, là où il y a eu le plus de morts. Il faut savoir que l’aide est évaluée par rapport au nombre de morts, et non par rapport au nombre de survivants. C’est un phénomène d’ordre émotionnel inconscient de la part des ONG. La région de Klaten a eu un taux de morts par village plus important que la région de Bantul (là où se trouve Bebekan) mais le taux de destruction des maisons est aussi important, à savoir 95 ou 100% . Ce phénomène étrange s’est déjà produit pour le tsunami à Aceh : le nombre considérable de morts (près de 200.000 à Aceh uniquement) a provoqué une collecte de fonds d’une ampleur jamais vue dans le monde. Or le tsunami à Aceh a fait beaucoup moins de sans abris que le séisme de Yogyakarta, pour une raison d’arithmétique simple : sur un village de 2000 habitants à Aceh, en moyenne 1800 sont morts, restent 200 sans abris. A Yogyakarta, sur un village de 2000 habitants, au plus 15 sont morts. Restent 1985 sans abris. Le tsunami à Aceh a fait en tout 500.000 sans-abris. A Yogyakarta et la région, le séisme a détruit 300.000 maisons, ce qui a affecté 1.500.000 personnes (une moyenne de 5 personnes par maison) moins 6000 morts, donc environ 1.494.000 sans abris. (Les campagnes autour de Yogyakarta, parce que très fertiles grâce aux volcans, sont les plus densément peuplées du monde).

Le dimanche matin 6 août, les enfants de Bebekan ont émis l’idée ludique d’aller à la piscine, chose qu’ils ne faisaient jamais avant le séisme. Nous sommes tous partis à vélo ou à moto par des chemins de campagne à travers les rizières pour arriver au bout de 7kms à une très jolie et vaste piscine municipale champêtre. Nous avons eu droit à 50% de réduction sur les tickets d’entrée (déjà très bon marché) en tant que « victimes du séisme ». Ayant été jadis, au collège, championne de natation, j’ai donné aux enfants leur première leçon de natation : vaincre la peur de l’eau en mettant la tête sous l’eau, les yeux grands ouverts. Certains verront là une thérapie post-traumatique. Pour les enfants et pour moi, c’était la joie dans son attribut le plus simple : l’eau. Nous y retournons dimanche prochain.
Merci.