BEBEKAN 13

Mardi 17 octobre, 37 maisons sont déjà construites. Asep et moi avons passé l’après-midi à faire un nouvel inventaire, inspectant maison par maison, voyant ce qui leur manque. Bilan : à ce jour du 17 octobre, plus un seul habitant de Bebekan n’habite sous une tente ou une bâche plastique.(photos sur le blog bebekan-e.blogspot.com dans quelques jours). Mais il reste encore 17 maisons plus que rudimentaires à construire pour les familles qui s’entassent chez d’autres ou habitent dans les étables, les vaches étant sous les bâches plastic.


Grâce à un ami d’Asep, Imam, très introduit dans le réseau des écoles coraniques soufies (pesantren), nous avons passé toutes nos commandes de bois à un d’ancien maître d’une de ces écoles, qui pour sa retraite, a planté des cocotiers sur ses terres à Java Ouest. Pour chaque commande, Asep venait choisir chez le débiteur local chaque poutre de cocotier avec un des charpentiers connaisseurs de Bebekan. Car plus la poutre est coupée dans le centre du tronc, moins elle est bonne pour la construction, trop tendre. Il faut donc faire un tri attentif.

Sinon à ce jour, aucune aide d’aucune ONG internationale ni du gouvernement n’est arrivée à Bebekan. C’est toujours le même refrain que depuis le premier jour du séisme.
Pourtant, l’aide gouvernementale à la reconstruction devrait être éminente. Tous les jours dans les journaux, il est dit qu’elle va arriver, à hauteur de 4 millions de rupiah (soit environ 380 euros) par maison, pour la première phase. Si les gens de Bebekan touchent un jour cette aide, ils n’auront de toute façon pas le temps (ni l’argent) pour reconstruire une maison en dure avant l’arrivée de la mousson. Par la suite, l’idée est de transformer la maison plus que rudimentaire en cuisine avec terrasse, et d’adosser à cette structure en bois chambres et salle à manger en briques. Aux dires des villageois, ce sera très bon pour les poutres car la fumée de la cuisine (les femmes de Bebekan cuisinent encore toutes sur du feu d’écorces de noix de coco) protégera le bois de la vermine.
Pour le sable, nous en avions commandé un camion qui devait faire le tour du village avec son chargement et livrer pile devant chaque maison ayant besoin de sable notée sur l’inventaire. Mais le pauvre conducteur du camion a tourné plusieurs fois en devant affronter les discussions des villageois, si bien qu’il n’a livré qu’un quart du chargement et nous a rendu l’argent correspondant au sable non livré. Nous allons la semaine prochaine refaire une commande, après un nouvel inventaire, cette fois-ci Asep fera la tournée avec le chauffeur du camion. Le sable et le ciment sont destinés aux familles qui n’ont pas bénéficié d’une maison plus que rudimentaire en bois, parce qu’elles ont pu récupérer une ou deux pièces de leur maison en briques. Ou aux familles qui avaient des poutres en béton et non en bois, afin qu’elles refabriquent les poutres en béton qui se sont brisées. Parfois une maison a besoin par exemple de quatre poutres en béton, parce qu’il lui en reste deux. Nous partons toujours sur la base d’une maison de 6m sur 3m, avec 6 poutres, plus une terrasse de 6m sur 2m avec 3 poutres. Dans ce cas, la terrasse est complétée avec des poutres en bois de cocotier.
Il y a quelques cas difficiles, comme ce monsieur d’un certain âge qui n’a pas voulu abattre sa maison pourtant très fissurée, comme d’autres gens de Bebekan l’ont fait. Depuis, il la replâtre tant et plus, essayant de panser les fissures béantes avec du ciment. Il nous réclame donc constamment des sacs de ciments, il détruit un pan de mur, place des barres de fer dedans, remet du ciment dessus. Mais c’est un puits sans fin, car dans la nuit du lundi 16 octobre, il y a eu un nouveau petit séisme, mais suffisamment fort pour fissurer à nouveau sa maison en plusieurs points. Peut-être devrions-nous lui proposer plus fermement d’abattre sa maison et de lui construire une maison plus que rudimentaire avec poutres et piliers en bois. A voir.


1) comme ils creusent sans finesse, ils brutalisent tout l’éco-système très fragile de la rivière de lave, en particulier ils brisent les réseaux souterrains d’eau.
2) ils prennent le travail des centaines de villageois vivant traditionnellement de la collecte du sable.

Par ailleurs ce sable, étant donné sa quantité considérable et sa très grande qualité, plus la demande énorme pour la reconstruction du sud de Yogya dévasté par le séisme, ce sable est l’objet de hautes convoitises entre le gouverneur de la province spéciale de Yogyakarta (le sultan) et le maire de la commune de Sleman (située tout autour du volcan). Une loi dit que ce qui est du domaine des rivières appartient à la province et ce qui est du domaine du volcan appartient à la commune. Or ce sable relève autant de la rivière au fond de laquelle il se trouve que du volcan qui l’a craché et sur les flancs duquel il repose ! Bref, finalement, grâce à l’intervention du chef de l’école coranique Al Qodir, se trouvant au cœur des village du sable, sur le volcan, le maire a ordonné aux bulldozers de quitter provisoirement Kali Adem, en attendant la décision du tribunal. Une ordonnance a été faite, comme quoi on ne pouvait puiser du sable à plus d’un mètre de profondeur. Ce qui de fait interdit l’intervention des bulldozers. Mais les villageois n’osent pas reprendre eux-mêmes la collecte du sable car ils ont peur des représailles des hommes de main de la compagnie qui a loué les bulldozers et qui a perdu déjà beaucoup d’argent avec l’immobilisation des engins géants. Les chauffeurs de camions ne veulent plus conduire leur camion plein de sable vers la plaine de peur de se faire lyncher en route par ces hommes de main. De plus les villageois veulent obtenir via le tribunal le droit légal de ramasser le sable pour pouvoir s’opposer de bon droit contre le pillage des bulldozers.

« Des oiseaux par milliers
volent vers les feux
par milliers ils tombent
par milliers ils se cognent
par milliers aveuglés
par milliers assommés
par milliers ils meurent.
Le gardien ne peut supporter
des choses pareilles
les oiseaux
il les aime trop
alors il dit
Tant pis je m’en fous !
Et il éteint tout.
Au loin
un cargo fait naufrage
un cargo venant des îles
un cargo chargé d’oiseaux
des milliers d’oiseaux des îles
des milliers d’oiseaux noyés. »

Côté maison du cœur :






Cheikh Bentounès s’est aussi rendu la veille au soir dans l’école coranique Al Qodir, sur le volcan, toujours pour symboliquement relier les victimes du séisme au sud, aux paysans du sable du volcan au nord. Par ailleurs, cette école coranique est dirigée par un homme à la fois très excentrique, pieux et pragmatique, Kyai Masrur. Il a fondé ce pensionnat il y une dizaine d’années, accueillant les enfants les plus pauvres de toutes les îles indonésiennes, des enfants des rues de Yogyakarta. Mais il est aussi le « guide spirituel » d’un des musiciens pop les plus célèbres d’Indonésie, Dhani, du groupe Dewa.
Ses disciples ont conduit le Cheikh Bentounès à travers les plantations de « salak » (fruit à l’écorce de serpent), de piments, et les rizières jusqu’à un grand champ qui a vu des affrontements entre les résistants indonésiens et les forces coloniales hollandaises à la fin des années 40. C’est sur ce grand champ que Kyai Masrur a le projet de construire une maison de retraite spirituelle, sur le modèle des « pesantren » (pensionnat coranique) réservés aux enfants et aux jeunes, mais celle-là serait pour les personnes âgées, afin qu’elles puissent apprendre à vieillir sans avoir peur de la mort, avec un soutien social, humain et spirituel, en coordination avec le pensionnat coranique, les enfants et les jeunes s’occupant des personnes âgées. Et réciproquement. Kyai Masrur soutient aussi activement les paysans dans leur lutte contre les prédateurs de sable. Je crois que ce fût pour le Cheikh Bentounès et les enfants de l’école coranique une rencontre bouleversante. Le père de Kyai Masrur, un tout petit et vieux monsieur très maigre, fumant des cigarettes avec un très long fume-cigarette, a déclaré : « Nous avons rencontré notre chaîne initiatique . » Un peu plus tard, le Cheikh Bentounès a parlé de l’islam en France, avec beaucoup de lumière et d’intelligence. Il a ajouté qu’il venait du même pays que Zidane et que Zidane était un très cher ami. Cela a donné une autre raison aux jeunes de l’école coranique de se sentir proches de Cheikh Bentounès.Retour à Bebekan : Pak Miskijo, seul grand blessé du village, travaille comme charpentier depuis plus d’un mois à la construction des maisons plus que rudimentaires, mais sa hanche l’handicape toujours et le fait souffrir. Il marche toujours avec des béquilles. Il a par ailleurs été un des premiers a bénéficié d’une maison plus que rudimentaire. Sa femme a déjà planté des bonsaïs et des fleurs devant la terrasse.Le médecin que nous avions vu il y a deux mois nous avait dit d’attendre deux mois pour voir si les os se réajustaient d’eux-mêmes. Entre temps, sur les conseils d’Abbot, Pak Miskijo a vu une rebouteuse très compétente qui a soigné avec succès une multitude de fractures chez les victimes du séisme. Mais son intervention sur Pak Miskijo n’a eu aucun effet. Après les fêtes de la fin du Ramadhan, je vais donc prendre rendez-vous avec le médecin qui a opéré la double fracture ouverte de ma fille (blessée lors d’un séisme secondaire au mois d’août). Il s’est avéré être un très bon chirurgien, bien que je ne l’ai pas choisi, puisque ma fille a été opérée en urgence dans la nuit. Je lui fais confiance pour le diagnostic. Si Pak Miskijo doit se refaire opérer, il devrait être pris en charge par l’hôpital public en tant que victime du séisme. Mais si pour des raisons bureaucratiques obscures, il n’est pas pris en charge, nous gardons de l’argent en réserve pour payer son opération.
Pour terminer cette lettre, la phrase en exergue du livre de Cheikh Bentounès :
« En quoi consiste le soufisme ? » Abu Saïd Ibn Abi’l Khair répondit : « Ce que tu as en tête, abandonne-le, ce que tu as en main, donne-le ; ce qui t’advient, ne l’esquive pas. »