Village de Bebekan

Maison du corps maison du coeur

samedi, juin 09, 2007

Bebekan 18

Après plus de quatre mois de travaux, l’entrepreneur comissionné par Carrefour nous remet un amas de petites clés entremélées : les clés du Sanggar Giri Gino Guno enfin terminé. Ces quatre m ois de construction se sont déroulés dans une tension constante avec le directeur du projet de Carrefour qui n’a jamais consulté les gens de Bebekan et ne s’est jamais présenté aux autorités locales. Comme je ne cessais de lui transmettre les malfaçons de la construction (entre autres les violations des règles élémentaires de construction anti-sismiques pour lesquelles nous avons obtenu gain de cause après des bras de fer épuisants), il a fini par me demander expressément dans un email de ne plus me mêler de la construction, chose impossible puisque les gens de Bebekan m’ont donn é la charge et la responsabilité de la construction de ce sanggar. Mais étant en F rance pendant tout le mois de mars et une partie du mois d’avril, j’ai choisi de me taire pour ne pas envenimer la situation inutilement à distance.


Résultat : le sanggar est construit, mais mal construit : l’entr epreneur a utilisé des matériaux de la plus basse qualité, tout a été fait à la va vite, les finitions sont bâclées, c’est le règne du mauvais goût... Nous allons devoir faire des travaux pour arranger ce mauvais goût, et au fil des mois et des années, réparer certains éléments qui vont se détériorer très vite, comme par exemple les portes de la résidence d’artistes toute vermoulues, le plafond en bambou tressé mal fixé, non traité, de piètre qualit é, si bien que les mites vont le manger, des robinets qui perdent, une chasse d’eau déjà cassée, le sol des salle de bain en ciment gris affreux, râpeux, inlavable, les éviers en fausse terra cota déjà ébréchés et fendue…

Si pour le pavillon du bas, Carrefour a bien suivi notre proposition et a reconstruit un ancien joglo en teck (pavillon ouvert), pour la résidence d’artistes au sommet de la colline, l’entrepreneur a décidé de ne plus s’embêter avec
notre idée de préservation du patrimoine architectural javanais, maison de village tout en bois, architecture qu’il ne maîtrise pas, étant de Jakarta, la capitale. Il a opté, sans nous consulter, pour une maison en briques et béton. Il a réussi, en le prenant à part, à convaincre un vieux du village que nous avions chargé de surveiller les travaux, du bien fondé de son choix. Le vieux, qui comme bien des villageois, préfère « le moderne, le dur », a abondé dans son sens. A mon retour de France, j’ai été surprise de voir que Pak Jamhari, le villageois qui avait dessiné l’esquisse du sanggar avec le joglo et la limasan( maison de villa ge en bois) nous boudait. Il ne voulait même plus s’impliquer dans le groupe de reog dont il était le manager et l’âme, puisque c’est lui qui en sculpte tous les masques. J’ai fini par parler longuement avec lui, et c’est seulement au bout de deux heures qu’il ma confié son amertume, comment il se sentait exclu, mis sous la touche, parce que nous n’avions pas respecté le projet initiale de la maison limasan. Je lui ai donc raconté tous nos déboires avec Carrefour dont il ignorait tout. A présent le mal est réparé et Pak Jamhari s’est relancé avec ferveur dans le reog et la fabrication de masques.
Si Carrefour nous avait fait confiance et avait consulté les villageois, le sanggar aurait pu être beaucoup plus beau, en harmonie avec la fonction qui lui est imparti et ceci à un coût certainement bien inférieur à celui de l’entrepreneur. Sur les photos que vous verrez sur le blog, il a tout de même belle allure et nous sommes bien content de l’avoir, tout canard boiteux qu’il soit.
Le directeur de Carrefour a refusé de nous communiquer le budget, comme il a jugé inutile que l’architecte vienne sur place pour faire les plans en accord avec les besoins et les idées des gens de Bebekan, comme il a refusé, alors que le sanggar était presque terminé, de nous transmettre les plans pour que nous puissions enfin procéder au permis de construire, jugeant que tout cela ne nous regardait pas, que ce n’était que l’affaire de Carrefour et de l’entrepreneur. Nous avons donc payé des architectes locaux pour qu’ils dessinent les plans à partir du sanggar presque terminé, et c’est avec ces plans que nous avons fait établir le permis de construire au nom de l’Organisation du Sanggar.
Il est difficile de comprendre pourquoi le chef du projet de Carrefour s’est conduit ainsi. Perte de temps, d’argent, d’énergie. Précisons que ce chef du projet est aussi le directeur de la communication de Carrefour pour les 28 hypermarchés installés en Indonésie. Normalement, dans n’importe quelle entreprise, le commercial et « le social » sont dissociés. Malgré le gigantisme de Carrefour, cette entreprise en Indonésie n’emploie qu’un seul homme pour ces deux activités. C’est le chef du projet du sanggar de Bebekan qu i a dû faire des déclarations il y a deux mois, lorsqu’un enfant est mort dans un hypermarché de Jakarta, assommé, écrasé par des cartons de boîte de lait concentré en fer qui sont tombés du haut des rayonnages. C’est encore lui qui a dû faire des déclarations il y a quelques semaines, lorsque 125 employés d’un autre Carrefour de Jakarta ont été intoxiqués à cause, visiblement, d’un mauvais fonctionnement de l’air conditionné. Ils ne sont restés qu’une journée à l’hôpital, mais l’hypermarché est resté fermé pendant des jours. La semaine dernière, il a enfin pris le temps de venir à Bebekan pour une réunion avec les membres de l’organisation du sanggar et les autorités locales. Nous avons évité de parler des problèmes passés pour voir si une collaboration dans l’avenir était toujours possible : dans un accord oral, Carrefour avait promis d’acheter le nécessaire du sanggar (ordinateurs, nattes, stores, meubles, etc..) à hauteur de 2300 euros environ, et de soutenir le fonctionnement du sanggar pendant un an, à hauteur de 550 euros par mois, budget de base permettant de payer les deux institutrices pour le soutien scolaire l’après-midi, les deux jeunes profs d’informatique, les entraîneurs de la danse reog, le gardien et homme de ménage, les factures d’électricité, de téléphone, d’abonnement internet etc...La réunion s’est plutôt bien passée. L’organisation du village n’ayant pas de statut juridique « national », Carrefour doit faire transiter l’argent par une fondation. Nous avons choisi de travailler avec la fondation Bagong K ussudiardja, du nom d’un des plus grands danseurs et chorégraphes indonésiens du XXème siècle qui a modernisé la danse classique javanaise. Décédé il y a deux ans, c’est un de ses fils, Butet, célèbre et talentueux acteur, qui a créé cette fondation avec mas Besar, le danseur qui entraîne les danseurs de reog de Bebekan depuis un an, et une danseuse coréenne-américaine mariée à un Indonésien. Bagong Kussudiardja avait construit un ensemble de pendopo (préaux) et de résidences d’artistes dans le sud de Yogyakarta. La fondation a rénové et réinvesti ce lieu magique, situé à seulement une demie heure de Bebekan.
Carrefour nous a promis de nous envoyer la lettre d’accord sur laquelle travaillent ses avocats dans les trois jours. Cela fait déjà une semaine et nous n’avons toujours rien reçu. Il est clair que nous ne signerons l’ accord que s’il donne toute autorité à l’organisation du village pour décider du programme des activités (que nous avons remis à Carrefour lors de la réunion) et de le mener à bien, sans intervention aucune de Carrefour. Le chef du projet nous a dit que les seules conditions seraient de mettre le logo Carrefour lors de certains évènements au sanggar et d’accueillir les journalistes (envoyés par Carrefour) qui viendront faire un reportage sur le sanggar. Patience donc.

Quoi qu’il en soit, le sanggar n’attend pas Carrefour pour commencer à fonctionner. La coopérative de femmes pour les « emping » se réunit déjà régulièrement sous le pendopo pour les cours de micro-économie et de cuisine dispensés par KDK, la petite ONG (rencontrée lors du tsunami à Aceh) qui a monté ce projet de coopérative avec beaucoup de sérieux et dans un très bon esprit. KDK a même demandé aux femmes de choisir les grosses pierres sur lesquelles elles pilent les écorces des glands melijo. Le premier échantillon ne convenait pas : trop friable et poreux. KDK a donc commandé les pierres chez un fabricant dans un lieu reculé et en a livré 32, chacune pesant environ 50 kg.
Le premier cours de micro-économie apprenait aux femmes à compter ce qu’elles et leur mari gagnaient par mois. Exercice à priori facile mais qui s’est avéré fort compliqué. J’ai participé à ce cours et j’ai dû interviewer les femmes une à une pour inscrire les diverses sources de revenus par an, car elles font beaucoup de travaux saisonniers, tels que les moissons. Jamais elles n’avaient calculé, elles dépensent l’argent dont elles disposent au jour le jour. Pour KDK, avant même de lancer la production et la vente de emping, il est essentiel que les bases économiques de chaque foyer soient saines, pas de dettes. Nous avons donc fait les additions : sur un an, cela montait jusqu’à 3-4 millions de rupiah, les femmes étaient stupéfaites d’arriver à une somme aussi importante. Mais ensuite, nous divisions par douze et cela faisait une moyenne de 350.000 rupiah par mois (à peine 35 euros) pour un couple ayant souvent au moins deux enfants. Certaines femmes, n’arrivant pas ou refusant de compter pour ne pas voir la réalité, pleuraient. Toutes ou presque ont des dettes.


Le sanggar a aussi servi de lieu de réunion pour lancer un programme d’agriculture organique avec une autre petite ONG de Java Centre (Boyolali). Le premier cours portait sur comment fabriquer de l’engrais organique à partir des bouses de vaches très abondantes à Bebekan. Une dizaine de villageois sont d’accord pour se lancer dans cette aventure vitale. Cela fait trente ans que les rizières sont intoxiquées aux engrais chimiques, lors de la révolution verte dans les années 70. A l’époque, le gouvernement (dictature de Soeharto) a imposé une seule espèce de riz, avec les engrais chimiques fabriqués par une compagnie privée de mèche avec le clan au pouvoir. Plus les années passent, plus le rendement des rizières baisse, plus il faut d’engrais chimiques de plus en plus cher. Les paysans sont étranglés. Mais le changement ne peut se faire en une saison. Il faut lentement désintoxiquer les rizières en y introduisant des engrais organiques tout en continuant les engrais chimiques. Car sevrer les rizières d’un seul coup risquerait de faire perdre toute une récolte. Les rizières sont comme des droguées, malades, accros. L’ONG a donné aux paysans de quoi louer un rizière pendant cinq ans pour tenter l’expérience sans filet : passage immédiat aux engrais organiques. Mais si les rizières voisines ne suivent pas, les eaux contaminées passeront dans le champ expérimental… L’agriculture organique est par conséquent forcément une aventure collective, communautaire, comme l’était traditionnellement le réseau d’irrigation des rizières.

Pour ces deux projets économiques et agricoles, le sanggar sert de lieu d’accueil et de pôle pour coordonner les initiatives. L’idée étant de voir comment on peut les décliner dans d’autres secteurs ou sur une autre tranche de la population de Bebekan, ceci à l’initiative alors du sanggar même. Deux exemples :
-Le groupe des femmes emping apprend aussi à cuisiner des plats simples fabriqués à partir de produits locaux. Nous allons donc former une « cuisine associative » qui cuisinera quand le sanggar accueillera des visiteurs de passage ou des artistes en résidence.
-Pour l’agriculture organique : nous avons discuté avec l’ONG de l’idée d’étendre cette prise de conscience aux enfants lors du playgroup le dimanche ou lors des activités extra-scolaires l’après-midi. Faire fabriquer par exemple aux enfants de l’engrais organique qu’ils répartiront sur un coin de terre du sanggar pour planter divers légumes. Leur faire goûter d’autres espèces de riz, complet, mais aussi d’autres aliments de base autre que le riz. Les patates douces et autres tubercules étaient une source d’alimentation importante autrefois. Mais la riziculture a été imposée comme un symbole de niveau de vie plus élevé, les tubercules faisant figure de pauvres, à tel point qu’aujourd’hui, même la Banque Mondiale établit son baromètre de niveau de pauvreté en Indonésie par rapport à la quantité de riz consommé par jour et par personne.
Le sanggar va devenir rapidement un centre pour diverses activités extérieures. Nous avons déjà la demande, pour le mois de juin, de 6 écoles maternelles autour de Bebekan qui veulent organiser au sanggar un concours de dessin. Evidemment, elles n’ont pas d’argent et nous demandent si nous pouvons financer le goûter des 150 enfants participants. Nous étudions comment réagir à ce genre de requêtes qui vont devenir de plus en plus fréquentes. A la mi-juin, KDK va organiser au sanggar un séminaire avec les femmes des cinq villages de coopératives de emping et une Indienne, spécialiste de micro-économie et de micro-crédit. Les repas et boissons seront là pris en charge par KDK.

Le Sanggar Giri Gino Guno a une approche « globable » : il associe la micro-économie, l’éducation, l’agriculture, l’environnement, la culture, l’histoire locale, la santé, sans cloisonnement, sachant que tout est lié. En faisant le playgroup un dimanche avec ma fille, Sarah, nous avons réalisé que certains petits enfants de deux ans montraient des signes de sous-nutrition. A quoi bon leur faire faire des activités psychomotrices si en même temps ils sont sous-alimentés ? Il va donc falloir prévoir, parallèlement au playgroup, un programme d’éducation nutritionnelle pour les mères. Nous avons aussi l’idée (folle) d’introduire deux ou trois vaches laitières dans le village et de monter une petite coopérative de lait pour pourvoir aux besoins alimentaires des petits enfants les plus pauvres. Les gens de Bebekan élèvent des vaches qu’on leur confie, mais pour la viande. Projet à l’étude.

En fait le sanggar est la transposition en trois dimensions de l’aide « globale » que nous avons pratiquée à l’intuition et en improvisant au jour le jour depuis le lendemain du séisme grâce au soutien financier de tous les amis de Bebekan. Ce qui a changé : un an après le tremblement de terre, les maisons sont reconstruites, les gens de Bebekan ne sont plus des victimes. Il est très facile d’aider des victimes : celles-ci ne s’opposent à rien, le bon ou mauvais caractère des uns et des autres est masqué par la catastrophe, et ceux qui aident ne se posent pas de questions. Les victimes sont dans l’humilité ou l’abattement, ceux qui aident sont dans l’urgence et dans l’assistance à personne en détresse. Mais dès la reconstruction achevée, la vie reprend son cours normal, les égos se reconstituent, la pauvreté, cachée un moment par l’ampleur du désastre, se révèle dans toute son acuité, les querelles de village repartent à l’épisode interrompue par le séisme…Soi-même, on se demande de quel droit on intervient dans la vie de tous ces gens, même s’ils sont plus que consentants. Est-on certain d’avoir plus de vérité qu’eux ? Que faire quand on réalise lentement qu’un certain nombre de leurs traditions sont peut-être bien une des causes de leur pauvreté ? Le gotong-royong (l’entre-aide villageoise), si merveilleuse au premier abord, est en fait liée à toutes sortes de rituels qui exigent de cuisiner des repas communautaires à toute occasion. Les femmes passent leur temps à cuisiner pour la communauté, ces repas sont coûteux, mais ne pas en offrir aux autres, c’est perdre la face, se faire déconsidérer voir exclure mentalement de la communauté villageoise. Nous avons jusque là respecté ces traditions, mais je réalise progressivement que les villageois nous entraînent dans leur logique de contraintes qui à la fois soudent leur société mais aussi les asservis. C’est la problématique du don et du contre-don si bien étudié par le sociologue Maus.. Ces repas qu’on dit rituels sont aussi une forme d’asservissement « matérialistes », sorte d’endettement constant envers les autres.
Par ailleurs, les gens de Bebekan à présent, n’étant plus victimes, doivent apprendre à s’aider eux-mêmes. Le renversement de rôles et de situations n’est pas facile à opérer. Il faut beaucoup de patience, d’écoute mais aussi de fermeté pour ne pas se laisser emporter dans leur réseau de contraintes qu’ils défendent comme « leurs traditions », sorte de tabou impossible à transgresser. Je reviendrai sur cette problématique dans Bebekan 19 à travers des exemples concrets.

Dimanche 27 mai 2007

Dès trois heures du matin, sur la grande esplanade de Bantul, au sud de Yogyakarta, des milliers de gens se sont rassemblés pour prier et commémorer le tremblement de terre qui s’est produit exactement il y a un an. A 5.57 pile, heure du séisme, des tambours et des gongs résonnent, rejouant le son de la catastrophe. Beaucoup de personnes fondent en larmes.
Rien de tel à Bebekan, à 3 kms de là. Le groupe « C’est quoi ce Cirque », de France, a passé la nuit dans la résidence d’artistes du sanggar. Quatre jeunes qui ont fait la veille un atelier de marionnette avec les enfants du village. A l’aube, les hommes de Bebekan sont déjà à installer les câbles électriques, les néons, la sono pour la soirée. La tournée de cette compagnie de marionnettes a été programmée de France, c’est donc un hasard si leur venue à Bebekan (organisée par le Centre Culturel Français de Yogyakarta) tombe juste un an après le séisme. Après la tombée de la nuit, des centaines de spectateurs des villages environnants et de Yoygakarta s’agglutinent sous le pendopo (préau) du sanggar. Les musiciens de reog sont installés au sommet des gradins. Pak Suparman, le secrétaire du canton, a revêtu son plus beau sarong de batik, une chemise à col javanais d’une grande élégance et un keris planté dans la large ceinture dans son dos. Il présente le programme dans une langue javanaise classique, noble, des plus raffinées. Mais soudain, c’est le chaos : surgissent des danseurs masqués : singes, monstres, princes, esprits ancestraux…Certains, déjà en transes, grimpent aux tecks plantés le long duRien de tel à Bebekan, à 3 kms de là. Le groupe « C’est quoi ce Cirque », de France, a passé la sanggar. On a inversé les lieux : les spectateurs sont sous le pendopo, les danseurs dansent sur les gradins, montant, descendant, sautant, et tout autour. Une énergie fabuleuse qui séduit tout le monde. En fait, c’est le gardien du cimetière, et donc des esprits du village, qui a suggéré de ne pas danser sous le pendopo, car il y a là encore, selon lui, un esprit très tourmenté qui risque de posséder violemment certains danseurs. IL faut d’abord le calmer. Lors des répétitions il y a quinze jours, un danseur a été pris d’une transe profonde, des pleurs terribles dont il n’arrivait plus à se libérer. Il était possédé par un autre esprit, celui qui rôde depuis des années au sommet de la colline, dans le forêt de tecks et de bambou longtemps laissé en friches et à l’abandon, depuis le départ de Gino dans un camp de travail forcé japonais à Sumatra à 1942. Cet esprit est affamé, comme un bébé il pleure et ses pleurs ont envahis le corps et l’âme du danseur. Pour calmer cet esprit, afin que les hôtes de la résidence d’artistes ne soient pas à l’avenir importunés par lui, lors du repas cérémoniel tenu il y a une semaine, sur la terrasse de la maison, des offrandes lui ont été faites. Mais il en resterait un sous le pendopo…et d’autres dans certains arbres autour.
Après le reog, projection d’un petit film de 10 minutes, montage photos et vidéos de la reconstruction corps et âme de Bebekan depuis le séisme. Puis la présentation des marionnettes fluorescentes françaises dans le noir complet et le court spectacle de marionnettes créés avec les enfants du village. Vous pouvez voir les photos sur le blog :
bebekan-e.blogspot.com à partir du 2 juin.


Nous avons encore environ 3000 euros (bien que nous ayons payé le permis de construire, le repas cérémoniel, les fournitures, peinture, papiers, crayons et goûter pour deux playgroup deux dimanches de suite, les frais de fonctionnement d’Asep et d’autres activités, la somme n’a pas diminué depuis plusieurs mois car des amis de Bebekan continuent spontanément à faire des dons). En attendant la proposition de Carrefour, nous allons utiliser une partie de cette somme dans les semaines à venir pour :
-deuxième trimestre de formation à l’anglais d’Asep, désormais directeur du sanggar pour un salaire «village », soit 100 euros par mois.
-formation à un stage d’éducation des deux jeunes institutrices que nous avons recrutées pour le soutien scolaire et les activités extra-scolaires.
-entrainement du reog
-cours de danse et musique pour les enfants pendant les vacances scolaires qui comment à la mi-juin.
-fabrication d’étagères pour la bibliothèque
-révision de toute l’installation électrique du sanggar totalement insuffisante et inadaptée. Pour le spectacle du 27 mai, les villageois avaient tiré des fils minuscules à travers les arbres, certains grimpaient le long de la tour en fer du réservoir d’eau. Celui-ci débordait toutes les heures, car Carrefour n’a pas installé d’arrêt automatique sur la pompe comme c’est la règle, l’eau coulait avec un grand bonheur sur les fils enroulés le long des piliers de fer…L’installation est actuellement de 450 watts ! Nous avons donc dû emprunter le générateur du chef musulman du village voisin, un riche excentrique, très généreux, amis des arts populaires, qui parraine lui aussi souvent le village (il a construit les escaliers menant au cimetière et qui ont résisté au séisme).
-salaire du gardien de nuit qui est en charge aussi de faire le ménage du sanggar, un homme célibataire du village, sans travail fixe. Il est ravi d’avoir enfin un emploi régulier.


-achats d’outils, de peinture, de bois pour les premiers modèles de masques que nous allons essayer de vendre sur le catalogue internet de H.M. Diffusion, la plus grosse entreprise française de vente d’outillages pour le bois qui appartient en partenariat à mon frère. C’est lui qui m’a proposé cette idée lors de mon passage en France. Ouvrir une page sur Bebekan dans son catalogue et proposer aux clients d’acquérir un masque numéroté, une œuvre d’art originale fabriquée par les artistes d’un village qui se relève d’un séisme. H.M. Diffusion ne prendra aucune commission. Tout le produit de la vente ira au sanggar et aux sculpteurs de masques. Lorsque nous serons prêts, je vous communiquerai le site de H.M. Diffusion si certains d’entre vous sont intéressés par l’achat d’un masque.

Cette lettre est aussi longue que le silence qui la sépare de la dernière, fin mars.
A présent la mousson se retire et s’en va dans l’hémisphère nord.
A bientôt, avant l’équinoxe d’hiver (21 juin à Java, monde à l’envers).