Village de Bebekan

Maison du corps maison du coeur

mardi, août 29, 2006

BEBEKAN 11


L’éventaire des matériaux supplémentaires nécessaires maison par maison est terminé depuis une semaine. Pour commencer l’achat de ces matériaux, nous attendions de voir si l’aide gouvernementale promise avait une chance d’être versée ou pas. Chaque jour, les autorités provinciales se contredisent, hésitent, changent d’idée. L’idée qui semble retenue pour l’instant est de verser une aide de 15 millions de Rupiah (1.400 euros) par maison effondrée mais en trois étapes : la première étape début septembre pour 32.000 maisons (on est déjà le 27 août et l’argent n’est toujours pas débloqué pour x raisons bureaucratiques), le second versement en novembre pour environ 50.000 maisons et le troisième versement à partir de janvier 2007 jusqu’en juin 2007 pour les 100.000 maisons restantes. Evidemment, la population a commencé à protester : pourquoi ne pas faire comme dans la province de Java Centre qui a décidé de donner à toutes les maisons en un seul versement la somme de 4,5 millions. A cela le sultan (gouverneur de la province de Yogyakarta) répond que les autorités veulent faire superviser les travaux de reconstruction par des équipes d’architectes et techniciens pour s’assurer que les maisons seront reconstruites selon des normes anti-sismiques. Si une somme plus réduite est versée à tous en même temps, ce contrôle sera impossible, d’une part parce que cette somme de 4,5 millions de Rupiah (420 euros) ne pourra suffire à construire une maison permanente, et d’autre part parce que les autorités provinciales ne pourraient pas superviser la construction de près de 200.000 maisons en une seule étape. C’est trop d’un coup. A cela la population répond qu’elle ne fait pas confiance aux autorités provinciales, que le second et troisième versements risquent de ne jamais avoir lieu. Les victimes du séisme ont déjà l’expérience de l’indemnité mensuelle de 90.000 Rupiah qui devait leur être versée pendant trois mois avec 10 kilos de riz par mois et par personne. Finalement la plupart n’ont touché qu’un seul mois d’indemnité et les gens de Bebekan nous ont raconté que quand ils ont ouvert les sacs de riz, le riz était dévoré par les bêtes. C’était des vieux stocks juste bons pour le bétail ou la volaille. Ils ont revendu ce riz pour les animaux et en ont tiré de quoi racheter 3 kilos de riz mangeable par les humains.

La mousson va arriver dans deux mois. Nous avons donc décidé de commencer la semaine prochaine à acheter les piliers en bois de cocotier et les poutres pour la charpente. Ce sont les matériaux qui manquent le plus à la plupart des maisons et cela permettra de construire la structure de base vitale que les gens de Bebekan pourront compléter ensuite selon leurs moyens avec les panneaux de bambous et la toiture avec leurs briques restantes. Si nous avons les moyens, nous les aiderons bien sûr à compléter leur construction. Pour rester justes, les maisons qui n’ont pas besoin de piliers ni de charpente toucheront l’équivalent en ciment, sable ou autres matériaux nécessaires.

Nous allons aussi payer les 5 ou 6 charpentiers du village pour qu’ils travaillent par rotation, à raison de trois ou quatre jours maximum par maison. Cela suffit pour la construction de la charpente. Nous allons également acheter une ou deux scies électriques et autre outillage de bois pour faciliter et accélérer leur travail.

Nous sommes allés il y a trois jours à une consultation gratuite sur les constructions anti-sismiques organisées par le CEEDEDS (Center for Earthquake, Engineering, Dynamic Effect and Disaster) qui dépend de l’Université Islamique Indonésienne de Yoygakarta. Nous avons montré le plan de « notre » maison plus que rudimentaire et ils nous ont donné deux conseils précieux :
ajouter des poutres transversales en angle à la charpente (cela porte un nom spécifique que j’ai oublié, mais nous avons ajouté ces poutres sur le dessin du plan initial)
danger de la murette en briques de 0,5m construite sans fondation (car il s’agit d’une paroi non permanente) En cas de séisme, la tension de la murette en brique entraînerait les piliers dans sa chute. Si nous supprimons cette murette, les panneaux en bambou descendront jusqu’au sol et seront rapidement mouillés et détruits par la pluie. L’idée est donc de maintenir cette murette sans la faire adhérer aux piliers, en laissant un espace de quelques centimètres entre. A discuter avec les hommes de Bebekan. Le CEEDEDS a publié en 2003 un très bon livret sur la construction anti-sismique, en collaboration avec le gouvernement japonais. Nous en avons acheté plusieurs exemplaires pour Bebekan.

Du côté des ONG, Cardi, qui avait promis il y a déjà un mois, « d’envelopper » six WC publics ou plus, vient seulement paraît-il de toucher l’argent nécessaire à ce projet et apportera les matériaux dans un mois ! Une ONG indonésienne locale a par contre donné 167 panneaux de bambous, ce qui est autant à enlever à notre inventaire. Ces bambous ont été répartis selon les besoins, maison par maison, conformément à l’inventaire.

Les toilettes de la mosquée sont terminées. Il y a deux semaines, alors que je rendais visite aux hommes en train de creuser la fosse septique, ils m’ont montré à quel point la terre était noire, incroyablement noire et criblée de taches blanches. Ils en étaient déjà à deux mètres de profondeur quand ils ont trouvé un coquillage. Ils m’ont dit que c’était bien la preuve que la légende de Bebekan (signifiant canards en indonésien) était vraie : il y a mille ans, le village était une terre de marais, propice à l’élevage de milliers de canards. L’océan s’est retiré depuis à 15 kms au sud. En creusant la terre, on creuse l’histoire.

Les fêtes de l’Indépendance du 17 août ont
donné lieu à une kermesse avec jeux. C’est le comité des jeunes de Bebekan qui a tout organisé, nous les avons soutenus en achetant les cadeaux des gagnants. Rien de superflu : cahiers, crayons pour les enfants. Pots, assiettes, bassines en plastic pour les femmes. Habituellement, les jeux sont organisés pour les enfants uniquement. J’ai suggéré que les femmes participent aussi. Elles ont aussitôt composé deux groupes : celles de moins de 40 ans et celles de plus de 40 ans. La plus vieille était âgée de 75 ans, elle a participé au marathon et au jeu de groupe de la corde : onze femmes tirant sur une corde d’un côté, onze de l’autre. S’est ajouté au dernier moment pour les hommes un mât de cocagne improvisé dans un tronc de bananier suspendu à la verticale par une corde entre deux arbres et enduit d’une huile noire, gluante et glissante à souhait.

Le dimanche 19 août, toujours dans le cadre des fêtes de l’Indépendance, les hommes de Bebekan ont pris l’initiative de faire un spectacle de reog sur l’esplanade du terrain de volley, un peu en marge du village. Nous leur avions fait une surprise : Asep avait dessiné depuis longtemps un logo pour Bebekan figurant la légende des deux canards amoureux autour de la source au milieu des rizières. Nous avons imprimé ce logo sur deux drapeaux et les avons offerts au village. Mais les gens de Bebekan m’ont fait à leur tour une surprise. Pour l’ouverture du spectacle de reog (gratuit), ils m’ont conviée à accrocher un des drapeaux à la lance que portait une jeune fille. Deux jeunes filles de Bebekan ont en effet rejoint le groupe de reog jusque là exclusivement masculin et nous espérons que d’autres vont suivre. L’autre jeune fille portait au bout de sa lance le drapeau rouge et blanc indonésien. Celui de Bebekan, vous pouvez aller le voir sur le blog, à Bebekan 11. Raconter ce spectacle prendrait trop de place dans cette lettre. Je prépare un texte à ce sujet que je vous enverrai dans quelques jours. Il traitera du phénomène de transe à Bebekan, phénomène qui défit toutes les idées reçues que je me faisais jusqu’alors à ce sujet. Le reog de Bebekan a remporté un tel succès que le groupe a été invité ce dimanche 27 août à se produire dans le village voisin contre une rétribution de 1 million de Rupiah (90 euros). Etant donné qu’ils sont plus de soixante dans le groupe, cela ne fait pas beaucoup par personne. De plus, une partie de cette somme entrera dans la caisse commune pour financer les consommations lors des répétitions.

Nous allons nous réunir mardi 29 août à Bebekan pour parler justement du fonctionnement de cette caisse et du programme d’entraînement sur une année que propose mas Besar, un grand danseur de Yogyakarta avec plusieurs amis musiciens, costumiers et maquilleurs. Je vous en reparlerai après cette réunion.

Au milieu de ces festivités, dans la nuit du 18 au 19 août, la terre a encore tremblé à Yogyakarta, un séisme de force 3,9. Ce qui est assez faible, mais comme l’épicentre était très près de la ville, les maisons ont été fortement secouées ce qui a créé une panique parmi la population. Ma fille, Sarah, a elle aussi paniqué. Encore endormie, elle est tombée en courant de son lit à la porte de sa chambre donnant directement dans le jardin. Seulement deux mètres à franchir sans aucun obstacle. Elle s’est cassée deux os de l’avant-bras gauche, les os ont transpercé la peau et percé une veine, le sang coulait à flot. Je l’ai transportée dans la nuit à l’hôpital où elle a été opérée d’urgence. Apprenant cet accident, les gens de Bebekan ont fait preuve d’une compassion bouleversante. Pour eux, Sarah est une victime « à retardement » du tremblement de terre. Un premier groupe de 50 femmes est arrivé vendredi après-midi à la maison chargée de cartons de sucre de palme, d’œufs de cannes, d’emping, de tempé (pâté de graines de soja fermenté), de fruits. Puis le lendemain, deux groupes de femmes, d’hommes et d’enfants, à nouveau chargé de cartons de nourriture. Les deux groupes ont loué un bus à leurs frais pour venir jusqu’à chez nous. Comme ce samedi, c’était la cérémonie des offrandes au volcan Merapi, j’ai porté une partie des œufs, du sucre et des tempé à la femme de mbah Marijan, le gardien du volcan. L’eau est toujours coupée dans leur village, un sac géant en toile étanche de l’Unicef fait office de citerne et alimente en eau les toilettes de la mosquée. Pendant la nuit précédant la cérémonie des offrandes, le grand et vieux montreur de marionnettes d’ombres, Timbul, s’est produit dans le village du gardien du volcan. TImbul habite dans le sud de Yogyakarta, sa maison a été également détruite dans le séisme et beaucoup d’instruments de gamelan ont été endommagés.

Le lendemain à l’aube, nous avons grimpé le chemin des offrandes qui longeait le ravin qu’a emprunté la lave le 14 juin dernier. C’est blanc comme une piste de ski. Le chemin était couvert de cendres devenues sable gris et fin, très fin. Nous portions des masques pour ne pas suffoquer. Le volcan était complètement dégagé et sur un versant encore luisant de cendres et de lave blanche. Dans le soleil, on aurait dit une rivière de cristaux d’argent.

Dans quelques jours, nous allons mettre sur le blog la liste des amis qui ont soutenu Bebekan sans toutefois faire figurer les sommes.
Je vous rappelle l’adresse du blog :

Pour la version française :
bebekan-e.blogspot.com
Pour la version anglaise :
bebekanvillage.blogspot.com
Pour la version indonésienne ( plus réduite) :
bebekan.blogspot.com


Ci-joints l’inventaire des matériaux supplémentaires nécessaires, maison par maison, en anglais, ainsi que le budget total. Vous trouverez dans quelques jours sur le blog à nouveau cet inventaire, le budget, le plan de la maison plus que rudimentaire, et les photos de chaque maison, trois jours après le séisme et de chaque abri de fortune actuel. Chaque photo porte un numéro correspondant au numéro du nom de la famille inscrit sur l’inventaire pour le RT 1 et le RT 2.
Petit lexique :
Bambou panel : panneau de bambou
Tweezers : bambou fendu (servant de pince)
Rafter : chevron
Lats : lattes
Roof tiles : tuiles
Pillar : piliers (en bois de cocotier)
Cement : ciment
Sand : sable
Framework : charpente
House’s damages : degré de destruction/ totally : totalement / severely : sérieusement/ slightly : légèrement.

Cliquer ici

Merci à vous et aux gens de Bebekan