Village de Bebekan

Maison du corps maison du coeur

lundi, mars 26, 2007

Bebekan 17


Je suis en France depuis début mars. Je vous ferai part des divers développements mouvementés de la construction du sanggar (centre) à mon retour en Indonésie le 15 avril. La veille de mon départ pour Paris, nous avons constitué l’Organisation Villageoise du Sanggar lors d’une réunion avec les anciens du village, le chef du canton. Nous avons choisi ensemble les divers membres, hommes et femmes. Le secrétaire du chef du canton, un homme très lettré, a suggéré que le nom du sanggar s’enrichisse d’un troisième terme commençant par un G conformément à la tradition poétique javanaise friande d’allitérations (purwokinanti). Il a donc proposé qu’on ajoute le mot « giri » signifiant « montagne ». La montagne étant un symbole de solidité et de noblesse d’âme dans la mythologie javanaise et le sanggar étant lui-même construit à flanc d’une petite montagne, cette proposition a été retenue à l’unanimité. Le sanggar s’appelle donc désormais : Sanggar Giri Gino Guno, soit « la Montagne Doublement Utile ». Enin, un designer et critique d’art talentueux de Jakarta, a remodifié le logo à cet effet. Toujours gracieusement. Vous le trouverez sur le blok Bebekan 17 dans quelques jours.

Juste avant mon départ, Eli, une Indonésienne dont j’ai déjà parlée dans divers lettres (j’avais rencontré son frère à Aceh lors du tsunami) nous a contactés pour nous annoncer qu’elle avait enfin trouvé l’argent pour mettre en place la coopérative de « emping » (chips faites à partir d’écorces du gland « melijo »). C’est le gouvernement australien qui a versé ces fonds à la petite association de Eli. Asep est donc en train de construire avec les femmes de Bebekan cinq maisons du type maisons rudimentaires qui serviront de petites coopératives où seront fabriqués les « emping » selon des normes plus « hygiéniques » que les « emping » fabriqués juste là par les femmes chez elles. Chaque femme recevra un capital de 500.000 rupiah (45 euros) pour acheter un stock de glands, plus 200.000 rupiah (18 euros) pour le matériel de fabrication. Eli s’occupe de trouver les marchés. Si notre collaboration avec Carrefour peut se poursuivre dans de meilleurs termes que jusqu’à présent, l’hypermarché sera également un acheteur potentiel. Cette coopérative de « emping » est intégrée aux activités du sanggar qui a une mission à la fois culturelle, éducative, économique, artistique, santé publique et environnement. Eli avait prévu de coordonner cinq villages de « emping », mais seul celui de Bebekan s’est jusque là mis en place rapidement et dans une belle entente. Elle veut donc prendre la coopérative de Bebekan comme un « projet pilote », ce qui rend les femmes de Bebekan très fières.


Profitant de mon passage à Paris, une très chère amie et brillante anthropologue, Barbara Glowczewski, qui fait également partie des amis de Bebekan, m’a invitée à participer à un séminaire qu’elle organise au Musée du Quai Branly dans la matinée du 28 mars 2007 pour que je parle de l’aventure de Bebekan. L’entrée est libre et ouverte à tout public. Vous êtes donc les bienvenus. Ci-dessous le libellé de ce séminaire.

Au plaisir de vous voir peut-être ce mercredi 28 mars au Musée des Arts Premiers.

ANTHROPOLOGIE DE LA PERCEPTION

Salle de cinéma du Musée du quai Branly, mercredi 10h-13h

(28 mars, 25 avril, 9 et 23 mai, 13 juin et 27 juin)

Séminaires animés par Barbara Glowczewski, entrée libre

Le 28 mars 2007

10h-11h30: Barbara Glowczewski,

directrice de recherche au CNRS, auteur de Rêves en colère. Avec les

Aborigènes australiens, présentera le film L'Esprit de l'Ancre (53',

CNRS Images) co-réalisé avec Wayne Jowandi Barker chez une famille

yolngu de la Terre d'Arnhem en Australie du Nord qui explique ses

liens mythologiques et historiques avec les pêcheurs saisonniers de

Macassar.

11h30-13h: Elisabeth D. Inandiak,

écrivain, auteur de Les Chants de l'île à dormir debout. le livre de

Centhini,

parlera du système de micro-aide du village Bebekan de Java détruit

par le séisme du 27 mai 2006 : « Maison du corps/maison du coeur »

Le village de Bebekan appartient au regroupement villageois de

Gilangharjo, dans la circonscription de Pandak, département de

Bantul, Province Spéciale de Yogyakarta. Il est situé à 30 kms au sud

du centre ville de Yogyakarta. Ses maisons sont au pied d'une petite

colline en forme d'île encerclée par un océan de rizières vertes. Les

quatre cents villageois sont tous des travailleurs agricoles sans

terre, à l'exception de certains ouvriers, ouvrières ou conducteurs

de cyclo-pousse et d'un fonctionnaire, un seul, à savoir une

institutrice. Sur les cent maisons qui composaient le village avant

le séisme du 27 mai 2006, quatre-vingt quinze se sont écroulées en

partie ou complètement. C'était à la fois de vieilles et de récentes

constructions, aucune ne répondant aux normes anti-sismiques

élémentaires. Deux personnes sont mortes dans le séisme et plusieurs

dizaines ont été blessées. Les trois jours qui ont suivi le

tremblement de terre ont été les jours les plus éprouvants. L'aide

promise n'arrivait pas: aucune nourriture, ni tente, ni couverture.

Les noix de coco, bananes et autres fruits poussant sur les terres de

Bebekan furent une bénédiction pour survivre. Les secousses

secondaires ainsi que la peur d'un tsunami continuaient à hanter les

nuits des gens de Bebekan. La destruction totale des installations

électriques ainsi que les violentes averses nocturnes ajoutaient

encore du noir aux ténèbres. Dieu sait qui nous a montré le chemin

jusqu'à ce village. Asep, le coordinateur des secouristes volontaires

de Yogyakarta, et moi-même, nous sommes laissés porter par cette

énergie formidable du "gotong royong" (l'entre-aide communautaire)

afin de tenter de relever Bebekan de ses ruines, dans l'indifférence

totale de l'aide institutionnelle locale et internationale. Cultiver

l'espoir et l'effort de reconstruire non seulement une maison pour

abriter le corps, mais aussi une maison pour apaiser et éblouir le

coeur. Ce qui est miraculeux, c'est que cette logique économique par

l'absurde, basée sur l'improvisation au jour le jour et portée par un

réseau d'amitiés spontané et une sorte de grâce, marche. Elle

fonctionne depuis neuf mois à Bebekan. On pourrait l'appeler la «

micro-aide ».

--

Barbara Glowczewski (Dr)

Directrice de recherche au CNRS

Laboratoire d'Anthropologie Sociale

Collège de France

52 rue du Cardinal Lemoine

75005 Paris

tel: 33 (0)1 44 27 17 57

fax: 33 (0)1 44 27 17 66

b.glowczewski@college-de-france.fr

http://las.ehess.fr/document.php?id=138