Village de Bebekan

Maison du corps maison du coeur

mardi, août 08, 2006

Bienvenue au village de Bebekan!


Le village de Bebekan appartient au regroupement villageois de Gilangharjo, dans la circonscription de Pandak, département de Bantul, Province Spéciale de Yogyakarta. Il est situé 30 kms au sud du centre ville de Yogyakarta. Ses maisons sont au pied d'une petite colline en forme d'île encerclée par un océan de rizières vertes.

IL compte 400 habitants partagés sur deux "RT" ou quartiers. Tous les villageois sont des travailleurs agricoles sans terre, à l'exception de certains ouvriers, ouvrières ou conducteurs de cyclo-pousse et d'un fonctionnaire, un seul, à savoir un instituteur. Sur les cent maisons qui composaient le village avant le séisme du 27 mai 2006, quatre-vingt cinq se sont écroulées, en partie ou complètement. C'était à la fois de vieilles et de récentes constructions, aucune ne répondant aux normes anti-sismiques élémentaires. Deux personnes sont mortes dans le séisme et plusieurs dizaines ont été blessées. Les trois jours qui ont suivi le tremblement de terre ont été les jours les plus éprouvants. L'aide promise n'arrivait pas: aucune nourriture, ni tente, ni couverture. Les noix de coco, bananes et autres fruits poussant sur les terres de Bebekan furent une bénédiction pour survivre. Les secousses secondaires ainsi que la peur d'un tsunami continuaient à hanter les nuits des gens de Bebekan. La destruction totale des installations électriques ainsi ques les violentes averses nocturnes ajoutaient encore du noir aux ténèbres. Dieu sait qui nous a montré le chemin jusqu'à ce village.

Nous nous sommes laissés porter par cette énergie formidable du "gotong royong" (l'entre-aide communautaire) afin de tenter de relever Bebekan de ses ruines. Cultiver l'espoir et l'effort de reconstruire non seulement une maison pour abriter le corps, mais aussi une maison pour apaiser et éblouir le coeur.

Une goutte d’eau dans un océan de détresse

Mercredi 31 mai
IL est 21 h et je rentre juste du sud de Yogya, des embouillages monstres à l'aller et au retour, mais la mission est accomplie: nous avons livré la cargaison achetée ce matin aux villageois de Bebekan qui étaient vraiment contents. Evidemment c'est une goutte dans l'océan. Le village de Bebekan n'a reçu encore aucune aide alimentaire ni logistique. Seuls des militaires sont venus ce matin pour déblayer les premières ruines, mais il en reste beaucoup. ILs ont fait la quête en bord de route et ont reçu 150.000 roupies, ce qui leur permet d'acheter un peu de pétrole pour leur réchaud et leur lampe. L'électricité n'a toujours pas été rétablie et ne vas pas l'être avant des jours. Ils n'ont que deux, trois tentes (pour 500 personnes). La nuit, tout est noir, des voleurs essayent de s'inflitrer dans les ruines du village pour voler ce qu'il reste, ils doivent donc en plus monter la garde. Beaucoup de moustiques, il pleut depuis le séisme toutes les nuits, très fort. La situation que je décris n'est pas propre au village de Bebekan. Une grande partie des villages n'ont pas reçu encore d'aide. La priorité était sans doute les premiers jours au secour aux blessés et à l'évacuation des morts. Et l'armée commence à s'affairer à déblayer les ruines et à détruire les maisons qui menacent de s'écrouler. Ce qui est certain c'est que l'aide alimentaire et logistique stagne dans des entrepots et n'arrive presque pas à être distribuée. Des centaines de villages sont dans la situation de Bebekan. ALors pourquoi ai-je choisi d'aider ce village? Parce que le destin m'y a conduite. Voici comment:

Découverte de Bebekan


Dimanche m
atin, 29 mai, je me rends dans le quartier de Bantul où habite une amie qui est actuellement réfugiée chez moi avec son fils. Ce quartier a été détruit à 95%. 18 morts. Ce dimanche matin, c'est l'enterrement d'une femme. Des petites filles "d'honneur" jettent des pétales de fleurs sur le chemin vers le cimetière devant le cerceuil porté par les hommes. Dans la procession, une femme s'adresse à moi: "C'est ma cousine qu'on enterre. Si vous avez du temps après l'enterrement, je voudrais vous emmener dans un village que j'ai découvert hier (samedi soir). Les gens sont très pauvres mais adorables, ,leur village est aussi tout détruit. J'ai connu ce village car ma vieille mère qui habite dans un village au pied de ce village de Bebekan, lui-même situé sur un petit monticule, y a été conduite le samedi matin avec une foule folle de peur, mille villageois qui fuyaient la peur d'un tsunami. Ils ont couru se réfugier dans le village de Bebekan parce qu'il est surélevé.

Ce matin là, après avoir enterré leurs deux morts, les villageois de Bebekan ont décidé quand même de célébrer le mariage de deux jeunes couples, comme prévus, au milieu des ruines. Les plats de noce avaient été préparés la veille et non détruits par le séisme. A peine la cérémonie avait-elle commencé que les gens de Bebekan voient cette foule d'un millier de personne courir vers leur village, ils partagent le modeste banquet avec eux tandis que la foule monte dans le cimetière du village, le point culminant, pour y passer la nuit en se fabriquant des abrits avec des bambous. Ma mère était avec eux. C'est là que je suis allée la chercher". Ce village, j'en parle dans le papier pour Paris Match. Ils sont environ 500 habitants. SUr les 44 maisons, 42 sont détruites. Ce sont des paysans sans terre, des travailleurs agricoles qui cultivent la rizière des autres, élèvent les vaches des autres et construisent les maisons des autres. ILs sont pauvres mais travailleurs et leur village m'a semblé assez soudé et surtout très harmonieux au niveau de la nature, malgré la dévastation. Je suis venue pour la première fois ce dimanche matin avec celle femme, EMi, nous n'avions rien apporté pour eux, aucune aide, mais ils nous ont comblé de noix de coco qu'ils sont montés chercher sur les arbres. Je les ai trouvés entreprenants et positifs malgré leur grande détresse. Sans doute beaucoup d'autres villages sinistrés ont les mêmes qualités, mais j'ai été conduite à celui-ci. Parainner un village est je pense plus efficace et plus humain que de distribuer de l'aide tous azimuts.

Mercredi 31 mai – Coopération avec SAR Yogya

Comme l'aide du gouvenerm
ent n'est pas acheminée, des milliers de citoyens de Yogya ont pris l'initiative d'aller eux-mêmes avec leur argent acheter les produits nécessaires dans la magasins en ville et les acheminer eux-mêmes avec leur propre voiture. C'est ce que j'ai fait, déjà le premier soir du séisme pour le quartier de mon amie. Et ce matin pour Bebekan. Avec les 100 euros que m'a envoyés ma mère j'ai pu acheter une trentaine de boites de lait en poudre, 20 sarong, 200 paquets de nouilles instantannées, 5 litres d'huile, 20 paquets de serviettes hygièniques, une dizaine de savons anti-séptiques, de l'alcool, des produits désinfectans, des pansements, du coton et j'ai oublié le reste.

Il leur faut impérativment d'autres tentes. On n'en trouve plus à Yogyakarta mais un ami qui centralise l'aide des volontaires va aller en acheter dans une autre ville. Une tente de 5m sur 7m vaut 100.000 rupies, soit 9 euros. J'ai commandé cinq tentes.

Il leur faut aussi des lampes tempêtes à pétrole et du pétrole, des lampes de poche plus des pilles, des nattes en plastic, les produits alimentaires de base: sucre, huile, riz, oeuf, lait pour enfants. Des médicaments contre les coups de vent, de froid, du produit anti-moustique pour la peau, contre la dhiarrée.

Sans doute que quand l'aide internationale va arriver, les villages vont être inondés - ou pas- par toutes ces choses. Mais en attendant ils n'ont rien. Et ce sont les premiers jours qui sont importants pour garder le moral et la santé. S'ils sombrent dans la déprime et tombent malade, la reconstruction de leur vie et de leur maison serat très dure.

Je suis disposée à aller faire les courses et à me rendre tous les deux jours dans le village de Bebekan avec ma voiture pour acheminer de l'aide. De Yogya, pour s'y rendre, il faut au moins 2 heures car les routes sont très encombrées, voir complètement embouteillées sur plusieurs kilomètres.

Si quelques personnes veulent participer à cette aide très directe et concrète, je ferai un compte rendu tous les deux jours des achats et des nouvelles du village de Bebekan. AUjourd'hui, trois jeunes volontaires indonésiens du SAR (search and rescue) m'ont escortée, l'un dans la voiture, les deux autres sur une moto, pour éviter que la voiture soit agressée par des gens au bord de la route qui réclament de l'aide. Ils ont collé sur ma voiture leur label SAR et le mot "Voiture allant évacuer un mort". Si soudain l'aide gouvernementale ou internationale tombait abondemment sur le village de Bebekan, on pourrait reporter l'argent restant sur un autre village oublié, ou alors l'investir dans un petit projet à long terme à Bebekan.


Projet dans les jours à venir


Un mot sur SAR (Search and
Rescue): c'est une organisation de jeunes volontaires indonésiens, essentiellement des étudiants, spécialisés dans l'évacuation des blessés ou des morts. Lors du tsunami d'Aceh, ils sont partis deux mois évacuer les corps. POur le séisme de Yogya, ils ont sillonné les village pour évacuer les blessés et morts. Ils pensaient que leur mission s'arrêtait là. Leur bureau sont dans le complexe des bureaux du Gouverneur de Yogyakarta, jalan Malioboro, bureau qu'on leur prête, mais ils ne sont attachés à aucune structure gouvernementale. Les familles des blessés qu'ils avaient évacués sont venues les voir pour leur demander une aide alimentaire et logistique car elles disaient ne rien recevoir des autorités. Ils ont donc été entraînés à malgré eux à s'occuper de centraliser les données sur l'aide: quel village en a reçu ou pas, car le gouvernement ne centralise rien. Tout est dispersé, les ONG ne savent pas où distribuer l'aide et beaucoup de villages jusqu'à ce soir, mercredi 31 mai, n'ont reçu encore aucune aide, ni tente, ni lampe, ni nourriture. SAR est donc en train de dresser une carte précise de la région sinistrée par le séisme avec ces cartographes et géologues de l'université Gadjah Mada et d'informer les ONG sur l'état des lieux des divers villages en regoupant toutes les données que voudront bien leur donner toutes les organisations à mesure qu'elles délivreront de l'aide. C'est en principe le travail du gouvernement, mais il n'est pas fait. SAR le fait sans fond, complètement bénévolement, ils mettent des volontaires à disposition et des voitures pour apporter l'aide dans les villages oubliés.
Demain, au plus tard après-demain, ils auront terminé la carte qu'ils mettront à chaque à chaque instant sur un site internet que je vous communiquerai.

Ce matin, après une discussion très
concrète avec Mazurki et Asep, les deux pilliers de SAR (Search and Rescue), nous avons décidé la chose suivante pour les fonds que vous avez envoyés: nous restons concentrés sur le village de Bebekan. Les habitants de Bebekan m'ont dit hier que les 5 villages voisins n'avaient reçu aucune aide. Nous y retournons demain matin, avec quatre étudiants volontaires de SAR, la voiture chargée de nattes, de sac de riz, de lampe tempête, de pétrole, de lait, de sarong, d'aspirine, de vitamines, de 5 tentes, d'huile, etc... Toutes ces choses ont été achetées grâce à vos dons. Arrivés à Bebekan, nous allons construire en bambou un "posko", poste de communication, où les 4 étudiants vont rester à demeure pour coordonner l'aide, la distribuer à Bebekan et dans les villages voisins que nous allons visiter demain. Cette structure llégère, peu coûteuse de posko est essentielle pour dans les jours qui viennent receptionner de l'aide internationale ou d'organisations ou groupes locaux tel que Jarum, Kompas etc... S'il n'y a pas de posko, les ONG ne savent pas à qui donenr l'aider. Et cette aide nécessite un suivi quotidien: combien reste-t-il se sac de riz aujourd'hui, de quoi manque ce village... Car nous ne sommes pas dans une situation où les sinistrés sont regroupés dans des camps de réfugiés. Ils sont réfugiés dans leur propre village, donc beaucoup de dispersion. Et s'ils ne meurent pas de faim et n'ont pas l'air de souffir l'horreur, ils vivent tout de même entre les ruines de leur maison, sans électricité, sans toit, sinon pour certains des tentes, sans sanitaire, sans possibilité encore d'acheter quoi que ce soit dans les environs car tous les magasins sont sinistrés, et sans travail, sans argent. Cette situation risque de durer plusieurs semaines, voir plusieurs mois, même si beaucoup sont très débrouillards et dynamiques. Une des priorités seraient de déblayer les ruines des maisons avec de gros engins pour que les habitants puissent commencer à reconstruire avec les moyens du bord en attendant les fonds de reconstruction. Le gouvernement indonésien a organisé des posko dans certains quartiers ou villages, mais dans beaucoup pas. Le rôle des volontaires de SAR sera donc d'informer le bureau à Yogya de l'état des stocks, de s'assurer que l'aide est équitablement distribuée à tous les villageois et de réceptionner l'aide des ONG diverses. Car l'aide internationale est en train d'affluer, il est donc un peu "idiot" d'aller, comme le font encore des milliers de personnes à Yogya et comme moi", acheter des vivres et autres au supermarché pour les villageois alors qu'il commence à y avoir des stocks énormes qui n'attendent qu'à être dirigés vers les villages nécessiteux.


Ce que je vous écris là va peut-être se modifier demain sur le terrain à Bebekan. Il faut savoir improviser tous les jours car la situation se modifie constamment, les besoins aussi. Mais l'idée du posko que nous patronnons avec votre aide en collaboration avec la logistique de SAR me paraît bonne et pourra peut-être déboucher sur un plus long terme, pour assister les villageois à la reconstruction de leur maison selon des normes anti-sismiques.
Elisabeth

Bebekan 4

Carrefour, Marionnettes, Photos maisons détruites et gens, Pompiers Sans Frontières et SAR, Démolission

Tout avance assez vite et bien. Les villageois n’ont plus de souci de nourriture à présent. Vendredi soir, j’ai fréquenté les couloirs de l’hôtel Mercure où logent toutes les ONG, la presse etc… J’ai réussi à récupérer deux males de médicaments des Sapeurs Pompiers français qui repartaient et ne voulaient remporter ces stocks (200kg) avec eux. Comme toutes les notices sont en français, Sarah (ma fille) a passé la journée d’hier à traduire en indonésien la posologie de chaque médicament et de tout classer sur son ordinateur. J’ai rencontré aussi le directeur régional de Carrefour (Carrefour s’est installé depuis mars 2006 à Yogyakarta dans un tout nouveau centre commercial qui a été passablement endommagé par le tremblement de terre). Carrefour et le groupe Accor ont livré plusieurs milliers de repas gratuits aux hôpitaux de Yogyakarta pendant une semaine et Carrefour a fait de la distribution de vivres dans les villages. Je voulais demander à son directeur de nous offrir les cartables et les fournitures scolaires pour les enfants de Bebekan car tous reprennent l’école ce jeudi 8 juin. Mais il m’a dit préférer s’engager dans la reconstruction d’une école. Nous sommes donc allés ensemble samedi matin voir l’école primaire la plus détruite atour du village de Bebekan. IL semblait intéressé et doit me donner la réponse de sa direction cette semaine.

IL n’y a pas d’école dans le village même de Bebekan. Les enfants sont dispersés dans plusieurs écoles autour de Bebekan. Ils sont 60 à être scolarisés, de la maternelle au lycée, mais comme ils fréquentent les mêmes écoles que les enfants des 5 villages environnant, nous devons acheter des fournitures scolaires (cahiers, crayons, cartables) pour l’ensembles de 5 villages, soit environ 250 enfants, car sinon cela ferait des jalousies bien légitimes.

J’ai rencontré aussi au Mercure le directeur du Centre Culturel Français de Surabaya qui m’a proposé d’inviter à Bebekan un marionnettiste français, Michel Lauber, qui fait en ce moment une tournée en Indonésie. C’est Michel Laubu qui a émis le désir de se produire dans un village touché par le tremblement de terre. Sa troupe est de Lyon et s’appelle Turak. Nous organisons donc, demain mardi 6 juin, à 16h, une représentation de marionnettes dans les ruines de Bebekan. Nous invitons les enfants de tous les villages environnant et à la fin du spectacle, nous ferons la distribution des fournitures scolaires, plus un goûter.

Dimanche soir, j’ai organisé chez moi une rencontre avec les 15 pompiers français de l’association Pompiers Sans Frontière avec le coordinateur des jeunes sauveteurs bénévoles indonésiens de SAR (Search an Rescue) avec qui nous travaillons à Bebekan. Les Pompiers Sans Frontières sont en général des pompiers professionnels mais qui prennent sur leurs vacances pour venir en bénévole travailler sur des situations de catastrophes naturelles. Ils ne font pas juste du secours, mais aussi beaucoup de formation de secouristes ou pompiers, en particulier au Pérou, et à Aceh lors du tsunami où pendant des mois après le tsunami ils ont formé 30 pompiers indonésiens qui ont à présent un haut niveau de compétence. Ils étaient d’ailleurs hier soir avec quatre pompiers d’Aceh qui sont venus secourir les victimes du séisme de Yogya avec eux. Hier soir, les sirènes d’alerte sur le volcan Merapi ont sonné pour évacuer les villages à 4kms du sommet, sur le versant est car de très longues coulées de laves et nuées ardents, 6kms, se sont produites. Nous étions tous ensemble à la maison, et les pompiers sans frontières ont proposé à SAR l’idée d’une formation à long terme sur le secourisme autour du volcan Merapi. Il faut bien sûr qu’ils présentent ce projet à tous leurs membres et trouvent les fonds nécessaires, mais nous restons désormais étroitement en contact.

Du coup, ce matin, les pompiers français sont venus à Bebekan, l’un étant médecin, a organisé une visite médicale pour toutes les personnes souffrant encore de blessures ou de maladies diverses, tandis que les autres pompiers ont observé comment les villageois ont commencé à nettoyer les ruines et à démolir les murs vacillants. Ils leur ont donné quelques conseils de sécurité et pratiques, mais dans l’ensemble, ils ont trouvé que les villageois travaillaient parfaitement bien, bien que de manière archaïque. Un des étudiants du SAR leur a donné une grosse corde qu’ils glissent dans un trou supérieur d’un mur à détruire, qu’ils nouent puis à plusieurs ils tirent sur la corde et le mur s’effondre. Ils travaillent pieds nus, mains nues, sans masque. Les pompiers français leur ont donné tous les masques qui leur restaient et aujourd’hui nous leur avons acheté des bottes en caoutchouc, des cordes supplémentaires et des gants. Pour ce travail de déblayement, ils le font toujours selon la tradition du « gotong-royong », c'est-à-dire de l’entraide villageoise. Tous les hommes du village décident ensemble chaque jour de nettoyer les ruines d’une maison, et quand le travail est terminé, ils passent à la suivante. Ils vont en avoir pour plusieurs semaines mais ils travaillent très activement. Certaines femmes, également pieds nus dans les ruines, récupèrent une à une au milieu des débris, les briques encore intactes et les entassent délicatement sur le côté pour les recycler à la reconstruction. Les hommes récupèrent aussi toutes les poutres, les tuiles, c’est un travail de dentelle remarquable.

Les étudiants français bénévoles venus le week-end à Bebekan ont photographié tous les habitants devant leur maison. Le combat dans quelques semaines va devenir un combat bureaucratique pour obtenir auprès des autorités l’aide promise par le gouvernement, à savoir 30 millions de rupiah (2.800 euros) par maison détruite. Mais personne ne sait encore comment cette procédure va se passer. Les étudiants bénévoles indonésiens de SAR qui campent dans le village de Bebekan monteront « au front » de la bureaucratie indonésienne pour aider les villageois à obtenir cette aide. Aucun des habitants de Bebekan n’est un fonctionnaire, tous sont des paysans sans terre, ouvriers agricoles ou ouvriers dans le bâtiment, conducteur de cyclo-pousse. Ils n’ont donc aucun accès à la bureaucratie locale ni nationale. Ils n’ont d’ailleurs à ce jour toujours reçu aucune aide du gouvernement indonésien ( sinon en 11 jours 50 kg de riz, 2 cartons d’huile et 4 couvertures) ni d’ONG étrangère, si ce n’est la visite médicale de Pompiers Sans Frontière. Votre aide financière a été fondamentale et les pompiers français ont été surpris des progrès réalisés dans ce village par rapport à d’autres villages où ils sont intervenus.

Je continue donc à me rendre chaque jour à Bebekan, les étudiants indonésiens me transmettant au jour le jour les nouveaux besoins : câbles électriques (plusieurs centaines de mètres), support de néons etc… J’ai demandé aux étudiants français et indonésiens de conserver toutes leurs notes, photos, les dessins d’enfants etc… pour dans quelques mois peut-être publier un petit livre sur l’histoire de Bebekan, sa destruction par le séisme, sa reconstruction, son financement «artisanal » par un réseau d’amis étrangers et par des bénévoles de SAR sur le terrain au quotidien, ainsi que l’histoire plus générale du village, des ses habitants, de leur culture locale, de leurs traditions et mythes.
Elisabeth

BEBEKAN 5

Mercredi 7 juin,



Deux pompiers bénévoles de Pompiers Humanitaires se sont proposés de venir faire un tour d’inspection à Bebekan. Ils ont inspecté les maisons qui tenaient encore debout, toutes sont pratiquement à détruire sauf deux que les habitants voulaient détruire aussi car ils sont traumatisés à la vue de la moindre fissure même superficielle sur les murs. Les pompiers leur ont dit que ces deux maisons étaient en bon état. Les villageois voulaient aussi détruire le préau au sommet de la colline, à coté du cimetière, qui sert à accueillir une fois par an la cérémonie de Nyadran, la fête des ancêtres. Les piliers en béton étaient fissurés, ils avaient peur qu’ils s’écroulent sur leurs têtes, mais les pompiers leur ont dit que ce n’était que des fissures de surface et que le préau était en parfait état aussi. Ils leur ont par contre dit de détruire en priorité une vaste masure chancelante au sommet d’un petit promontoire surplombant le chemin du village. SI la masure s’écroule, elle risque de tomber sur le chemin très passant.

Mais les villageois nous ont dit qu’ils n’osaient pas l’abattre parce que c’était en fait un tombeau qui appartenait à une famille qui n’habitait plus le village. Il leur faut donc demander au préalable l’autorisation à cette famille. Nous avons fait une nouvelle distribution de bottes en caoutchouc, de lunettes de protection pour les hommes qui démolissent les ruines. Les étudiants ont établi sur leur campement un rendez-vous médical chaque soir, ils nettoient les plaies avec des compresses stériles, donnent les médicaments prescrits par les médecins de passage. Ils tiennent une liste de tous les villageois qu’ils soignent avec leurs symptômes etc…Nous avons proposé aux villageois de leur racheter leurs instruments de musique détruits dans le séisme, cela les ravit. Déjà chaque soir, ils jouent sur des morceaux de bambous et des bidons d’essence en plastic. Les instruments sont des instruments populaires, bon marché, mais qui sont difficile à trouver car ils doivent être bien fabriqués car les joueurs n’utilisent pas d’amplificateur. Le son du « reog » porte à plus de 2kms à la ronde, si les instruments sont justes. Jouer cette musique et pouvoir danser est la seule occasion de détente le soir pour ces hommes qui toute la journée travaillent sans rétribution financière dans la poussière et sur des montagnes de gravats, les ruines de leurs propres maisons. Ce n’est donc pas un superflu mais une chose essentielle qui les rassemble autour de leur identité villageoise, détruite matériellement, mais non pas spirituellement. Ils nous ont montré une ancienne bâtisse qui abritait pendant quelques années une école maternelle qui a été abandonnée, faute d’argent pour fonctionner. La bâtisse est très endommagée, mais nous avons émis l’idée avec eux de la raser et de construire sur son emplacement un «sangar », une maison de la culture, soit un pavillon ouvert (pendopo) de 9m sur 8m avec une petite partie fermée par des portes en accordéon de « warung » (kiosque) pour y installer une petite bibliothèque pour les enfants. Les musiciens et danseurs de « réog » pourront aussi utiliser ce lieu pour leurs répétitions, et cet espace pourra abriter les diverses activités de l’après-midi pour les enfants. Nous allons avec un architecte bénévole et les gens de Bebekan établir des plans, le coût, sachant que ce seront les villageois eux-mêmes qui construiront le lieu sur la base volontaire du « gotong royong » (entre-aide villageoise). Mais ils veulent bien sûr travailler d’abord au déblayement des ruines avant toute chose, ce qui peut prendre encore plusieurs semaines. Ils transportent les gravas dans des brouettes en bois à bout de bras jusqu’aux chemins du village qu’ils comblent ainsi. Nous allons trouver un camion pour les soulager un peu et faire avancer le déblayement plus vite.En attendant, un ami nous a obtenu par l’ONG Atlas une vraie tente de toile genre armée (jusqu’à présent les villageois dorment sous des bâches en plastic suspendues à des bambous) sous laquelle nous allons organiser dès demain dimanche les activités pour les enfants.

Les étudiants indonésiens établis en « posko » dans le village s’occuperont de ces activités. Nous apportons demain des cahiers de dessin, un tableau blanc, de la peinture. Par ailleurs, quatre étudiants indonésiens de Jakarta sont arrivés ce soir pour aider au nettoyage des gravas. Un Marocain travaillant comme entrepreneur dans le bâtiment à Bali, Midu, est venu bénévolement pour installer de façon extrêmement professionnel les câbles électrique et les néons sous chaque tente et le long des chemins du village. Nous avons acheté ce matin plusieurs centaines de mètres de câbles à cet effet. Midu va encore passer toute la journée de demain à l’installation électrique. Il est assisté par un jeune chanteur de hip-hop de Jakarta, Gerry, dont la femme vient d’accoucher d’un bébé prématuré à Yogyakarta.

Les villageois nous ont encore dit hier que la seule aide du gouvernement qu’ils ont reçue depuis 13 jours se résume à deux sacs de 25 kgs de riz, deux cartons d’huile et 4 couvertures. Aucune ONG internationale n’est encore entrée dans leur village pour les aider, sinon les pompiers bénévoles sous notre conduite. Le gouvernement a annoncé qu’il versera 90.000 rupiah (8 euros) par mois et par personne sinistrée (dont la maison a été détruite). Pour une famille de deux enfants, cela fait 360.000 rupiah par mois ce qui est déjà un petit soutien quand on sait que le salaire minimum mensuel dans la région de Yogyakarta est inférieur à 600.000 rupiah. Le chef du village nous a dit que le total de l’argent lui sera remis et qu’il a la charge de la distribution. Mais il estime que tous les gens du village y ont droit, car même les rares personnes dont la maison a résisté au séisme sont affectées, toutes participent au gotong-royong, mettent tout leur temps et leur force de travail au nettoyage des maisons des autres et du village. Il répartira donc la somme totale à égalité entre chaque personne de Bebekan. Une des spécialités des femmes de Bebekan est la fabrication des « emping » sorte de chips plates faites avec un gland rouge, le melinjo. Sur la petite colline du village poussent ces arbres mais pas en nombre suffisant. Les femmes vont acheter les glands chez un fournisseur, elles les rapportent au village, les font éclater dans du sable brûlant, les pilent puis les écrasent en petits cercles et les font sécher au soleil avant de les faire frire. Puis elles rapportent leur production au fournisseur qui leur donne 1000 rupiah (moins de 10 centimes) pour chaque kilo d’emping. Dans les magasins, les emping se vendent à plus de 12.000 rupiah le kilo. L’idée serait de planter de manière plus dense et efficace ces arbres melinjo sur la colline de Bebekan (il faut 4 à 5 ans pour qu’un arbre produise des glands) et de trouver aux femmes du village un réseau de vente à Yogyakarta, pour qu’elles puissent vivre décemment de ce travail. Il faut savoir que les gens de Bebekan ne demandent jamais rien. C’est nous qui les questionnons chaque jour pour savoir ce dont ils ont besoin. Précisons également que les seuls frais de fonctionnement de cette aventure se réduisent à l’argent que je donne chaque jour au chef des étudiants du posko de Bebekan pour acheter de quoi cuisiner pour les étudiants campant sur place, leur essence de moto et leur carte de téléphone, un peu de papier pour établir leurs rapports, soit environ 15 euros par jour pour l’ensemble du groupe d’étudiants.


En nous mettant au service de Bebekan dans le sud de Yogyakarta, nous ne devons pas oublier non plus le volcan Merapi au nord qui est très très actif. Plusieurs soirs, je suis montée avec Asep, le coordinateur des secouristes volontaires étudiants pour le volcan et le séisme, vers les camps de réfugiés du Merapi et au-delà. Toute la nuit, les villageois sont assis en groupe sur des nattes, sur la route, face au cratère et montent la garde. Ils surveillent les coulées de lave, les nuées ardentes et quand le volcan se couvre, ils doivent identifier ses humeurs à ses grondements. Ils se tiennent prêts à donner l’alerte aux habitants qui dorment dans leur maison. Avant-hier soir, je suis montée voir le gardien du volcan, mbah Maridjan, qui m’a adoptée depuis plusieurs années comme un membre de sa famille. Le matin le Merapi avait craché une énorme nuée ardente, tous les villages proches du cratère devaient être évacués, mais mbah Maridjan restait à son poste avec quelques proches. La route d’accès au village était barrée non par

l’armée mais par les villageois eux-mêmes, non pas parce que le volcan était dangereux mais pour empêcher les TV indonésiennes et internationales de harceler le gardien du volcan qui est assailli depuis des semaines par les médias qui lui font dire n’importe quoi. Il ne reçoit donc plus aucun journaliste et s’est réfugié dans la cuisine de sa maison, sur un lit en bambou, tandis que sa femme fait la cuisines sur des braises à même le sol de terre battue. Il s’est réfugié non pas contre les nuées ardentes, mais contre les nuées de journalistes et les fous illuminés en tout genre. La folie humaine est plus dangereuse que l’éveil du volcan. L’ambiance était à la fois calme et tendue, les arbres et les toits de maisons couverts de cendres, le cratère bouillonnant de nuées ardentes et de laves juste au-dessus de nos têtes. En contre-bas de la maison, les femmes du village préparaient le repas cérémoniel et les offrandes pour la nuit. J’ai apporté à mbah Maridjan les noix de coco que les gens de Bebekan m’ont donnés pour le village du volcan.
Elisabeth

BEBEKAN 6

Dimanche 11 juin,


Trois étudiantes indonésiennes (dont une balinaise) bénévoles (faculté de psychologie) installées à Bebekan ont commencé le playgroup avec les enfants du village sous la tente donnée par l’ONG Atlas. Comme les enfants seront en vacances dans une semaine, et ceci jusqu’au 15 juillet, nous allons développer les activités sous cette tente et peut-être organiser une ou deux fois une sortie en bus pour que les enfants voient autre chose que les ruines de leur village. J’ai mis les trois étudiantes en contact avec une psychothérapeute française, Judicaëlle, elle aussi bénévole, spécialisée dans les situations post-traumatiques. Elle a travaillé chez Mère Thérésa pendant 2 ans, au Rwanda dans les camps après le génocide, à Srilanka après le séisme. Elle est formidable et va transmettre un peu de son expérience aux trois étudiantes indonésiennes.

Mercredi 14 mai,

nous avons donné 2.000.000 de rupiah (soit 180 euros) aux femmes de Bebekan pour qu’elles achètent les ingrédients pour préparer le repas cérémoniel du lendemain, « syukuran » ou « selamatan ». Nous leur avons suggéré l’idée d’organiser un tel repas pour rassembler pour la première fois tous les habitants de Bebekan autour de prières, de chants, de courts discours de présentation des bénévoles et de l’aide à Bebekan depuis le séisme, et d’un repas communautaire pour quelques 600 personnes. Ce sont les femmes de Bebekan qui donc depuis mercredi après-midi ont cuisiné sans relâche toujours selon le « gotong-royong » (entre-aide communautaire) pour préparer ce repas « festif et méditatif ».


Mercredi soir : le volcan Merapi dont le statut d’alerte avait été baissé la veille de « awas » (alerte) à « siaga » ( prêt), a craché une énorme nuée ardente de plus de 7kms qui a atteint le hameau de Kaliadem, là où se trouvent des petits restaurants qui surplombent un ravin où s’écoule la lave. C’est un des lieux de tourisme local, car on y a une vue superbe sur le volcan. C’est là aussi que se trouvent deux sites sacrés, la Pierre Eléphant et le Banian Blanc qui sont le sujet central du livre que j’ai écrit il y a 8 ans sur le volcan Merapi. La population locale a réussi à s’enfuir à temps, sauf un secouriste du SAR et un villageois qui se sont réfugiés dans le bunker de Kaliadem. Ce bunker peut accueillir 50 personnes avec assez d’oxygène pour 5 ou 6 jours. Mais plusieurs mètres de lave ont recouvert le bunker. Asep, le coordinateur des secouristes de SAR avec qui je travaille au quotidien sur Bebekan, est parti aussitôt au poste de secours sur le volcan. A 22h, j’ai alerté les pompiers Sans Frontières Français. Je les croyais partis, mais une nouvelle équipe de quatre personnes les a remplacés, uniquement avec du matériel médical pour les blessés du séisme. Ils n’avaient donc aucun équipement ignifuge avec eux ! Je les ai tout de même conduits au poste de secours, ils sont partis à minuit sur le site avec une voiture de pompiers de Yogyakarta, une ambulance, le camion de secours du SAR. L’approche du bunker était pratiquement impossible, tout était plongé dans les ténèbres, enfouis sous la lave en ébullition que la voiture de pompier essayait de refroidir avec des jets d’eau, avec des nuées ardentes qui continuaient à tomber si bien qu’à 4 heure du matin ils ont tous dû rebrousser chemin à toute vitesse.. Les pompiers français ont été impressionnés par l’organisation des secouristes du SAR et de son commandant, Jabrik, qui dirigeait les opérations avec ordre et en mesurant tous les risques. Ils sont plus que jamais déterminés à venir former les volontaires de SAR à diverses techniques dans les prochains mois et peut-être leur faire parvenir un peu d’équipement.

Jeudi matin un bulldozer est monté, mais les nuées ardentes se poursuivaient, le conducteur du bulldozer à un moment s’est sauvé, terrorisé. Asep et moi avons acheté des lunettes de moto (les mêmes utilisées par les habitants de Bebekan pour la destruction de leurs ruines) pour que les sauveteurs puissent un minimum se protéger les yeux. Asep est parti au nord sur le volcan, moi dans le sud vers Bebekan.

Jeudi après-midi. Les villageois ont déroulés des nattes selon un tracé en étoiles, partant du centre du village et remontant sur deux chemins et sur les pentes de la petite colline qui monte au cimetière, creusant leur place au milieu des ruines et gravats toujours aussi envahissants. Tous ont revêtus leurs habits de fêtes, pour les femmes (habituellement dans ce village non voilées) leur voile et leur batik, pour les hommes, leur sarong, et leur peci noir (petit chapeau). Nous étions pleins d’admiration de les voir si bien vêtus au milieu de leur vie ruinée. Le matin même, j’ai couru pour récupérer 200 assiettes et verres en plastic offerts par une des filles du sultan via un posko installé dans sa maison, et j’ai acheté le complément (200 assiettes et verres) dans un magasin avant de filer sur Bebekan. Se sont joints à nous trois Français travaillant dans l’ONG Atlas, chargé de la reconstruction des villages. Sachant que le gouvernement indonésien a interdit aux ONG étrangères d’intervenir dans la reconstruction de maisons permanentes, ils font des recherches pour la reconstruction avec des matériaux recyclés, classés « semi-permanents » et qui permettront de « détourner » cette loi. Ils voulaient voir la situation à Bebekan. S’est joint à nous également Vincent, un ami Français qui vit depuis de très nombreuses années à Yogyakarta. Depuis le début du séisme, avec sa femme indonésienne, Puji, ils ont monté un posko dans leur maison, ils collectent sans relâche de l’aide et la redistribue aux personnes ou villages dans le besoin, en se guidant sur les appels d’une radio communautaire et de divers amis. Vincent a déjà beaucoup donné au village de Bebekan et ce jeudi il a apporté 127 paquets, un pour chaque famille, contenant du riz, du sucre, du savon etc…



Le repas cérémoniel s’est ouvert sur un « tahlilan », des prières aux morts, puis par un « dikir », psalmodie du nom d’Allah à répétition, mantras pour nettoyer le cœur, pratiqués par les musulmans soufis comme le sont les villageois de Bebekan.. Puis j’ai été invitée à raconter comment je suis arrivée dans ce village. A mes côtés se trouvait Emi, la femme qui m’a conduite le dimanche 28 au matin à Bebekan après l’enterrement d’une cousine à elle dans un autre quartier. Elle a dit aux gens de Bebekan que c’était sa cousine morte qui nous avait fait nous rencontrer et aider Bebekan. Puis les plats ont été apportés par les jeunes hommes du village, dont le fameux « nasi tumpeng », un plat de riz servi en forme de montagne ou de volcan avec deux gros piments rouges plantés au sommet, l’un à l’horizontal (monde terrestre, mondain), l’autre à la verticale (monde spirituel), et au croisement un petit œuf de caille. Les assiettes ont circulé de mains en mains, du riz blanc, des « sayur urap », carottes, soja cuits à la vapeur et mélangés à de la noix ce coco râpée, du bœuf en daube, des lemper (riz farci de viande cuit dans une feuille de banane), « naga sari » (banane, farine et sucre de palme cuit dans une feuille de banane)…verres de thé ultra sucré.


Asep nous a rejoints après avoir passé la journée sur le volcan avec les secours qui n’avaient toujours pas réussi à déblayer complètement la porte du bunker. Dans la tombée du jour, les villageois se sont dispersés au son des percussions et gongs du groupe de REOG que nous sommes en train de faire renaître de ses ruines. Nous avons commandé tous les instruments manquants qui seront prêts dans 15 jours. Avant d’acheter les costumes, nous avons demandé aux villageois de bien organiser leur groupe. Ils ont dressé la liste des 60 membres, danseurs, musiciens, manager, « secrétaire », (les plus jeunes ont 17 ans, comme il s’agit de danses de transe, les adolescents ne sont autorisés à joindre le groupe qu’à partir de leur majorité et s’ils sont jugés assez « mûrs » pour affronter la transe). Dimanche après-midi, nous nous retrouverons tous chez moi, sur les pentes du volcan (mais loin tout de même du cratère) avec Asep, les étudiants et les responsables du Reog pour discuter de la bonne organisation de leur groupe. Si je peux avoir un minibus, nous emmènerons aussi peut-être quelques enfants de Bebekan pour les changer d’air.


Vendredi matin, 8h. Alors que les nuées ardentes pleuvent toujours au sommet du volcan transformé en un paysage lunaire, transportant de la pluie de cendres et de sable, alors que mbah Maridjan, le gardien du volcan, demeure toujours fidèle à son poste dans son village, à 500 m des nuées ardentes, je reçois un message d’Asep : les secouristes viennent de pénétrer dans le bunker. Contre la porte, ils ont trouvé le corps du secouriste de SAR, mort, brûlé et asphyxié, et à l’intérieur le corps du villageois, dans la salle de bain, mort lui aussi dans les mêmes conditions. Il semble que le secouriste de SAR qui avait la charge de veiller à l’évacuation de la population de Kaliadem soit allé chercher un retardataire et que tous deux n’aient pas eu le temps de fuir, si bien qu’ils se sont réfugiés aussitôt dans le bunker sur place. Ont-ils mal refermé la porte sur eux, ou bien le bunker était-il mal conçu ? En principe, ce genre de bunker est conçu pour résister à une très forte chaleur et pression, à des torrents de lave et de magma. Ces deux hommes morts dans le bunker me remplissent ce matin d’un immense chagrin. Le séisme a fait plus de 6000 morts, mais l’action sans doute me gardait des pleurs. Peut-être est-ce toute la tristesse accumulée inconsciemment depuis le séisme. Peut-être parce que je suis si liée avec le volcan. Peut-être aussi parce que je travaille en étroite collaboration avec quelques uns de ces jeunes du SAR bénévoles, héroïques, aussi bien pour leur dévouement que pour leur courage.

Mati abu di utara
Mati batu di selatan
Air mata pun berdebu

Mort de cendres au nord
Mort de pierres au sud
Nos larmes mêmes sont poussières


Merci pour votre soutien à Bebekan
Elisabeth

BEBEKAN 7




Ces derniers jours, je regardais pour la première fois, enfin, les photos que les étudiants ont prises le surlendemain du séisme dans le village de Bebekan avec chaque famille devant sa maison détruite. C'est poignant et surtout ce qui saute aux yeux c'estque ce n'est pas une "catastrophe naturelle" (bencana alam), mais une catastrophe sociale. Toutes les maisons qui se sont écroulées dans le sud de Yogya ou presque sont des maisons de pauvres. Les pompiers français qui sont venus dans le village ont dit qu'elles étaient toute très mal construites, avec des briques de mauvaise qualité, du ciment tout aussi mauvais, et sans aucune technique élémentaire de construction. Au Japon, un séisme de force 5,9 ne détruit aucune maison. Et à présent le gouvernement annonce qu'il va donner entre 10 et 30 millions de Rupiah par maison détruite. Or plusieurs architectes compétents disent que construire une maison anti-sismique en ciment et béton coûte cher, car il faut beaucoup de fer et de techniques. Les villageois ne pourront donc pas se reconstruire une maison solide, ils récupèrent déjà une à une les briques intactes dans leurs ruines pour les réutiliserpour leur prochaine maison! Les pompiers ont pris les briques dans leur mais,les pressant à peine, elles se brisaient en poussière! Cet argent n'est donc pas une aide mais une sorte de crime: on donne aux villageois les moyens de construire non pas une maison mais un tombeau pour leurs enfants. La seule solution bon marché semble être le bambou, pas cher,résistant au séisme. Le bois est trop cher. La seule maison intacte de Bebekan est une maison en bambou construite sur un haut socle, terrasse en ciment avec des piliers en ciment avec des barres de fer à 50cm dans le sol, entre les piliers en béton des parois en bambou, c'est lepaysan lui-même qui a construit cette maison en 1965. Pas même une seule tuile n'est tombée du toit! Le problème c’est qu’il change tous les ans les cloisons en bambou car elles sont dévorées par les bêtes. Cela doit lui coûter moins cher de changer les parois que d’acheter du produit anti-insectes. Nous allons commencer un programme à Bebekan, un soir par semaine, projection de photos de leurs maisons détruites, laisser parler les villageois sur comment ils ont construit avant le séisme, projection de maisons japonaises en bois et bambou, de maisons balinaises "trend" en bambou, ou autres alternatives. Dimanche je suis allée chercher les quatre hommes du village avec qui nous avons le contact le plus étroit depuis le début. Je les ai emmenés chez moi, sur les pentes du volcan, pour discuter avec eux, Asep et Faiz (l’étudiant SAR qui dirige le posko à Bebekan) de leurs idées de reconstruction. Les sortir des ruines de leur village leur a fait le plus grand bien, une amie architecte indonésienne, Retno, nous a rejoints, avec son mari professeur de cinéma à l’Académie des Beaux Arts de Yogya (ISI). Les villageois nous ont dit qu’à Bebekan il y avait beaucoup de bêtes qui dévoraient le bambou et le bois, une vraie calamité. IL faudrait donc trouver des traitements spéciaux pour le bambou. Retno, l’architecte, a suggéré de commencer déjà par faire des fondations avec beaucoup plus de sable. Avant on mettait dans les fondations généralement 5cm de sable, il faudrait désormais en mettre au moins 20 cm. La grande leçon, ce sont les maisons de Parangtritis, sur la côté sud de Yogya, juste à côté de l’épicentre du séisme qui était à 7kms au large dans l’océan.

Pratiquement aucune de ces maisons ne s’est écroulée, grâce au sable sur lequel elles étaient bâties qui a amorti les vibrations. REtno a suggéré de budgéter une structure anti-sismique de base, fondation (avec sable), puis un cadre avec 6 piliers en béton armé, bien ancré dans le sol, plus une « couronne » en béton en hauteur réunissant les 6 piliers. Ce serait la base de la maison type. Là-dessus, chaque famille pourrait « la remplir » avec ce qu’elle souhaite ou peut se permettre : parois en bambou ou en bois, ou même en briques (si le cadre tient, le mur en briques s’il s’écroule, s’écroule sur lui-même à la verticale, sans grand danger), toit en tuile ou en tôle, fenêtres et portes récupérées de leurs anciennes maisons. Le fait de parler de reconstruction a fait le plus grand bien à ces hommes, de pouvoir un peu se projeter dans l’avenir. Car en fait depuis une semaine, ils avaient arrêté de démolir les pans de murs encore debout et de déblayer les ruines, ce qui les plongeait dans une déprime silencieuse. Ils se sont arrêtés, car ils doivent travailler dans les rizières. 75% des villageois sont des ouvriers agricoles pour gagner leur vie. S’ils abandonnent la rizière pour déblayer leurs ruines, la rizière s’assèche et meurt. Nous leur avons dit qu’il était pourtant essentiel qu’ils ne cessent de déblayer leurs ruines, sinon ils ne sortiront jamais de leur déprime. Le spectacle de ces ruines est oppressant, ils vivent toujours sur les montagnes de gravats de leur maison, dans la poussière, sans un sol plat pour planter une tente vaste. Ils ont donc eut l’idée d’organiser un tour sur la même base que le tour de garde de nuit, dite « ronda ». 18 hommes à tour de rôle ne vont pas un jour dans la rizière et travaillent au déblayement. Dès lundi matin, ils avaient affiché dans le village les groupes de 18 hommes, leurs noms, leur jour de travail et de « ronda ». Pour les soutenir, nous avons décidé de donner de l’argent aux femmes pour qu’elles cuisinent pour ce groupe d’hommes chaque jour. Ainsi, le déblayement est relancé, non pas à grands renforts de fonds, mais juste par une stimulation, des discussions, et 4 euros pas jour pour cuisiner pour les 18 hommes. Le dimanche, tous les hommes du village s’activeront au déblayement et nous les soutiendrons encore en donnant aux femmes de quoi cuisiner pour tous les travailleurs « gotong-royong ». Depuis lundi, le système marche très bien et le déblayement avance, même s’il faudra encore plusieurs semaines pour en venir à bout. Nous allons louer une camionnette pour transporter les gravats sur les routes de terres qui arrivent au village. A moins que Vincent, l’ami français de Yogya qui soutient aussi Bebekan et qui est devenu un expert dans la récupération et la redistribution de gros stocks d’aide stagnant dans les entrepôts les ONG internationales, achète une camionnette et nous la prête certains jours. Du côté de l’aide gouvernement, l’argent mensuel (90.000 rupiah) que toutes les victimes du séisme doivent toucher, n’est toujours pas arrivé à Bebekan. D’autres villages sont dans le même cas et certains manifestent plus ou moins violemment. Les étudiants du posko vont aller faire pression sur les autorités locales pour que cet argent soit versé comme il se doit aux gens de Bebekan. Affaire à suivre. C’est dire que les gens de Bebekan ne croient pas beaucoup qu’ils toucheront un jour l’aide à la reconstruction promise (entre 10 et 30 millions de Rupiah). De plus, depuis 2 semaines, le prix de tous les matériaux de construction a doublé à Yogyakarta. Même les panneaux en bambou (gedek) sont passés de 20.000 rupiah à 40.000 rupiah.


Au nord, le volcan Merapi est toujours aussi actif et Vincent intrigue avec grand succès auprès des ONG internationales pour obtenir de l’aide logistique, en particulier des pompes et des réservoirs. Suite à la grande nuée ardente et aux coulées de lave et de magma qui ont recouvert Kaliadem et le bunker, les canalisations qui acheminent l’eau du sommet du volcan dans les villages haut perchés sont toutes broyées. Lundi, je suis montée voir le gardien du volcan, mbah Maridjan. Son village est blanc de cendres. La nuée ardente est passée à 500 m de sa maison. Ils n’ont plus d’eau. Les vaches n’ont rien à boire et elles ne peuvent brouter l’herbe couverte de cendres et de souffre. Certains paysans désespérés bradent leurs vaches à des spéculateurs sans scrupule qui les leur achètent à très bas prix. Les ONG internationales ont du mal à comprendre la culture « villageoise » javanaise. Elles ont l’habitude d’intervenir dans des camps de réfugiés. Or, aussi bien pour les victimes du séisme dans le sud, que les habitants du volcan dans le nord, les gens ne se sont pas regroupés dans des camps mais restent dans leur village. Sur le volcan, les femmes et les enfants dorment dans les camps en contrebas, une partie des hommes restent en haut, dans les villages, et dans la journée, tout le monde remonte dans le village pour s’occuper des bêtes et des champs. IL faut donc des pompes à eau et citernes pas uniquement dans les camps de réfugiés, mais aussi dans les villages. Dans les camps, les réfugiés deviennent les « objets » des ONG, facile à gérer et à organiser. Dans les villages, les gens, mêmes victimes, demeurent tous « souverains ».

C’est remarquable d’observer cela ici, aussi bien du côté du séisme que du volcan. Je voudrais expliquer pourquoi, bien que nous soyons très occupés et concentrés sur Bebekan, le séisme et le volcan sont liés dans notre action et notre coeur. Pendant plus d'un mois, en avril et mai, tout le monde avait les yeux rivés sur le volcan, la terreur d'une éruption fatale. TOut le monde ou presque trouvait que mbah Maridjan le gardien du volcan, s'entêtait inutilement et dangereusement à vouloir rester dans son village, à refuser l'évacuation. Puis soudain, c'est la terre qui a tremblé au sud. Tous les secours se sont concentrés vers le sud, oubliant le volcan. Les seules personnes vigilantes ont été SAR: dès samedi 27, ils se sont divisés en deux groupes: la moitié des effectifs en bas sur le séisme, la moitié est restée sur le volcan. Comme je travaille avec Asep de SAR sur Bebekan, depuis que les blessés du séisme ont été évacués, en fin de journée, après Bebekan Asep monte pratiquement tous les soirs au posko relawan siaga Merapi de SAR. Souvent je l’accompagne en voiture car leur poste est à seulement 15mn de ma maison. Je me trouve donc informée de tous les problèmes là-haut, surtout le jour de l''énorme nuée ardente sur Kaliadem. Et puis le gardien du volcan m’ayant adoptée comme membre de sa famille, je ne peux l'oublier. Depuis le séisme, les gens ne pensaient plus au volcan. A tel point que les pompiers Sans frontières français sont venus uniquement avec du matériel médical pour les blessés du séisme. Lorsqu'il y a eu la nuée ardente et que je les ai conduits au posko du Merapi la nuit pour l''opération sauvetage des deux hommes dans le bunker, ils n'avaient pas d'équipement anti-feu! Par ailleurs, sur un autre plan, le volcan représente la verticalité (spiritualité), les villages du sud détruits par le séisme l'horizontalité (le "bas-monde), et pour bien agir il faut s’efforcer de cultiver l'équilibre entre ces deux axes, voir même se situer à leur intersection. Je me suis aperçue de cela seulement lundi soir, au retour de chez mbah Maridjan. Nous sommes allés voir aussi le Banian Blanc et la Pierre Eléphant au milieu d'un univers lunaire, noyé, brulé par les cendres, juste là où se trouve également le bunker. Nous ne nous sommes pas attardés car c'était très dangereux, à tout moment une nouvelle nuée ardente pouvait surgir et comme le volcan était couvert, que le brouillard du soir tombait, on ne l'aurait pas vu arriver. De plus, les antennes qui enregistrent le son d’une nuée ardente en formation ont été endommagées par l’éruption de mercredi dernier, si bien que les secouristes du SAR ne captent plus ce son alarmant sur leur radio et leur talkie walkie et ne peuvent donc plus transmettre aucune alerte. Mais les volontaires de SAR qui connaissaient tous mon livre "Le Banian Blanc" (sur les mythes autour du volcan Merapi, les rêves du gardien du volcan, les deux sites sacrés que sont le Banian Blanc et la Pierre Eléphant - 1998) voulaient absolument me montrer le miracle: la nuée ardente et les coulées de lave sont passées derrière le banian blanc et se sont arrêtés à la pierre éléphant, exactement conformément à la légende que mbah Maridjan raconte dans le « Banian Blanc. » : « La Pierre Eléphant est une histoire ancienne, du temps où la première coulée de lave est descendue sur le sud et a creusé la rivière de la montagne Anyar. D’après cette histoire, la lave et les pierres volcaniques se sont brusquement arrêtées dans leur course pour épargner une femme enceinte. Depuis, personne n’a jamais osé déranger cette pierre ni la détruire… »
Merci et à bientôt,Elisabeth

BEBEKAN 8



La semaine dernière, Carrefour a donné son accord pour reconstruire une des écoles primaires que fréquentent les enfants de Bebekan en commun avec les villages alentour, école située à environ 1km du village. J’ai accompagné le « directeur des affaires corporatives », Irawan, sur les lieux. Carrefour avait en tête une simple restauration, car sur les deux bâtiments, un seul s’était à moitié effondré. Mais lorsque nous sommes arrivés, des soldats de l’armée indonésienne étaient en train de démolir complètement le bâtiment à moitié effondré pour éviter tout accident avec les enfants qui jouent alentour. Carrefour devra donc tout rebâtir de zéro. Nous avons rencontré les instituteurs/trices et la directrice de l’école qui nous a confirmé qu’aucun plan de reconstruction n’était prévu encore et se réjouissait de voir Carrefour prendre cette initiative, bien qu’elle ignorât le nom même de Carrefour. Elle a transmis à Irawan les anciens plans de l’école. Avec la direction de Carrefour, nous sommes bien d’accord que la reconstruction de cette école doit apporter trois avantages aux gens de Bebekan :1) Une école neuve pour leurs enfants dans les plus brefs délais. Carrefour est en effet décidé à agir vite, si aucune entrave n’intervient de la part de l’administration locale indonésienne. 2) Un emploi rémunéré pour un certain nombres d’hommes de Bebekan. Carrefour a immédiatement été d’accord avec ma proposition d’employer les hommes de Bebekan et des villages voisins dont les enfants fréquentent la même école comme ouvriers de base à la reconstruction, encadrés bien sûr par des contremaîtres. Si les gens de Bebekan démolissent et vont reconstruire leur maison gratuitement, selon le principe du « gotong-royong » (entre-aide), il est clair que pour la construction de bâtiments publics, hors du village, les gens employés doivent être payés. 3) Une formation à la construction aux normes anti-sismiques pour les hommes de Bebekan employés à la reconstruction de l’école.

Samedi 24 juin. Une amie d’origine marocaine, vivant à Bali, Zohra, est venue avec son mari et un camion de Bali chargé de matelas, de jouets, de vêtements et de portes et cadres de fenêtres pour Bebekan. Zohra est en fait la jeune sœur de Midu qui est revenu encore trois jours la semaine dernière pour terminer l’installation électrique dans le village. Quelques jours avant, de vieux câbles bricolés ont pris feu près d’une tente ce qui a convaincu les gens de Bebekan de la nécessité de cables aux normes. Mais chaque fois que Midu croyait avoir câblé la dernière maison, une nouvelle maison, ou plutôt une nouvelle ruine ou tente surgissait derrière un cocotier ! A présent, chaque tente à son néon plus une prise pour la télévision ou le fer à repasser et les entrées de chaque chemin sont éclairées aussi par des néons.

Samedi midi, nous sommes allés acheter les costumes de danse de Reog dans une boutique spécialisée près du palais de Yogyakarta. Les deux leaders du groupe nous accompagnaient ainsi que le peintre Heri Dono qui nous a suivis ensuite à Bebekan pour participer à une discussion sur le Reog avec les membres de la troupe. Heri Dono leur a dit qu’ils pourraient ajouter à leur spectacle des marionnettes géantes en carton, telles qu’un dragon (naga) qui en crachant du feu de sa bouche (cratère du volcan Merapi) a provoqué un mouvement violent de sa queue (séisme dans l’Océan Indien). Les jeunes danseurs nous ont dit que ce que les spectateurs préféraient c’était le moment où les danseurs entraient en transe et ce que les danseurs, eux, préféraient, c’étaient les scènes de combat, de guerre. Mais ils avaient le désir de transformer leur « scénario » et d’apprendre de nouveaux mouvements. Dans les semaines qui viennent, nous allons donc inviter le grand danseur javanais Didik Nini Thowok (un ami avec qui je collabore sur le Livre de Centhini) pour qu’il leur enseigne quelques nouveaux mouvements. Alors que la répétition de Reog allait commencer au milieu des ruines, la terre s’est mis soudain violemment à trembler pendant une dizaine de secondes. Un villageois a soupiré : « Quand va-t-elle enfin se calmer ! ». Depuis le séisme du 27 mai, la terre tremble encore très fréquemment. Dans les villages d’Imogiri (région des tombeaux des rois javanais) les paysans disent entendre souvent la terre gronder sous leurs pieds.



Dimanche 25 juin, nous avons organisé une sortie en bus pour 40 enfants de Bebekan. Le lieu de la sortie était… ma maison, sur les pentes du volcan Merapi. Il y a là un grand « pendopo » , pavillon ouvert qui peut accueillir beaucoup de monde, plus derrière la maison, un petit pré et une petite forêt descendant jusqu’à une minuscule rivière. Plus une cabane en bois sur pilotis. Les accompagnateurs étaient les étudiants qui campent à Bebekan, dont deux étudiantes en psychologie, Bintang (balinaise) et Sita, plus un étudiant en arts plastics, Sutris,qui donne des cours de dessin trois fois par semaine aux enfants de Bebekan, plus Ujang, un jeune homme qui enseigne aux enfants à lire le Coran, deux fois par semaine. Nous nous efforçons de tout transmettre aux enfants sans discrimination : religion, arts, protection de la nature, etc… Sutris a les cheveux longs, des percings dans le nez et un visage androgyne, quant à Ujang, il est plus classique mais tout aussi ouvert. Tous ces étudiants sont bénévoles, nous ne payons à Sustris et à Ujang que leurs frais d’essence (10.000 rupiah, soit 1 euro pour chaque déplacement au village). Précisons que Sutris et Ujang sont aussi des victimes du séisme : leurs maisons sont totalement détruites.

Au retour des enfants, les femmes de Bebekan ont émis le vif désir de faire une sortie à leur tour… dans ma maison. IL est vrai que pour l’instant nous nous sommes occupés beaucoup des hommes (Reog et déblayement des ruines), des enfants (playgroup) mais pas du tout des femmes. Leur tour est donc venu.

La providence étant toujours à nos côtés, voilà que le dimanche soir je reçois un appel de Francisca, une femme mexicaine que j’ai connue à Aceh, lors du tsunami. J’étais partie là-bas comme volontaire sur un avion cargo de Metro TV, une chaîne privée indonésienne. Le premier jour, j’avais été affectée à « l’évacuation », c'est-à-dire la recherche et le ramassage des cadavres encore très nombreux dans la boue et les ruines. Le lendemain , j’avais rencontrée Johny, un Chinois Indonésien de Kalimantan qui était venu avec plusieurs amis volontaires, dont Francisca. Au Mexique, Francisca avait une fabrique de pains et de gâteaux. A Aceh, elle a formé les femmes d’un village a la fabrication de pains et de gâteaux et a monté avec elle une coopérative dans leur village gérée par les femmes. Elle me dit qu’elle travaille depuis trois semaines dans plusieurs villages touchés par le séisme et offre la même formation aux femmes de ces villages. Je lui propose de venir à Bebekan pour nous conseiller sur comment organiser les femmes dans la confection et la commercialisation des « emping », ces chips locales faites à partir de glands « melinjo ».

Lundi 16 juin11h du matin, réunion des femmes du village à Bebekan, avec Francisca et la sœur de Johny, Eli, qui vit à Yogyakarta et est très active dans l’aide aux victimes du séisme et les projets de micro-économie avec les femmes. Comme je l’ai déjà raconté dans un précédent compte-rendu, les femmes de Bebekan ne sont que des ouvrières d’emping. Elles vont chercher les glands dans une usine, elles les transforment en emping, les rapportent à l’usine et sont payées (une misère) pour leur travail. L’idée serait de leur avancer l’argent pour acheter elles-mêmes les glands melinjo, puis de les aider à vendre elles-mêmes leur production, ce qui leur permettrait de gagner trois à quatre fois plus d’argent. Samedi, comme je me trouvais à l’hôtel Mercure de Yogyakarta, j’ai rencontré le manager de l’hôtel que je connais bien, Xavier, et lui ai demandé si le groupe Accor en serait intéressé d’acheter les emping à ces femmes de Bebekan en « fare trade ». Il a tout de suite émis une réponse positive en me demandant de lui transmettre rapidement un petit projet. Cela serait un premier débouché. Les femmes continueraient à travailler pour l’usine, et prendraient une ou deux heures de leur journée pour confectionner des empings pour leur propre compte. Nous procèderons par étapes, lentement. Il faut aussi un contrôle de la qualité et d’autres réseaux de vente. Eli et son mari se proposent de nous aider car ils ont de bons réseaux dans toute l’Indonésie et les femmes des villages qu’ils aident produisent également des emping. L’idée serait de faire une petite coopérative regroupant tous ces villages producteurs de emping. Nous allons inviter les femmes de Bebekan chez moi à la fin de la semaine pour faire un « brain storming » avec elles, voir comment elles veulent s’organiser, quelles autres activités lucratives elles pourraient ou aimeraient pratiquer. A suivre.

Vincent continue à approcher les grosses ONG et à nous fournir une aide importante. Asep de SAR est en train de mettre en place un blog avec textes et photos. Vous allez enfin avoir des images de Bebekan. Demain, je vous enverrai le bilan financier et les dépenses jusqu’à présent, non pas pour vous relancer car nous avons assez d’argent pour faire fonctionner tous nos projets actuels, mais pour vous informer. Je ne veux pas mettre ce bilan sur le blog accessible à n’importe qui. Je pense que les finances de Bebekan et la gestion de l’aide ne regardent que les donateurs.
Merci pour votre soutien.Elisabeth

BEBEKAN 9


Ci-joint, les dépenses pour Bebekan depuis le séisme du 27 mai 2006 jusqu’au 30 juin 2006. Nous avons dépensé jusqu’à cette date 49.345 800 rupiah, ce qui équivaut à environ 4.500 euros. Les dépenses courent toujours, puisque nous finançons chaque jour les repas pour le groupe d’hommes qui nettoient le village à tour de rôle, les frais d’essence des professeurs de lecture du Coran et d’art, les frais de nourriture des étudiants du posko, et qu’il y a toujours de nouveaux achats, par exemple une cinquantaine d’uniformes scolaires. Les « grandes vacances », qui en Indonésie ne durent que 15 jours, viennent de commencer. L’école reprend avant la fin juillet.


Il nous reste à l’heure actuelle plus de 7000 euros (argent reçu). Une partie de cette somme peut nous permettre de continuer à gérer sans problème les diverses activités à Bebekan déjà mises en place :-le posko des étudiants de SAR -le playgroup-les travaux de déblayement Pour réfléchir comment utiliser au mieux l’argent restant et à venir, nous avons organisé une petite réunion à ma maison samedi 1 juillet avec les étudiants du posko, puis une autre petite réunion à Bebekan dimanche soir 2 juillet avec les fortes personnalités du village, dont le chef du RT 1 (quartier1) et RT 2 (quartier2) (Bebekan est divisé administrativement en 2 RT-quartiers).


Samedi 1er juilletLes étudiants présents :-Faiz : « chef » du posko-Lolo, Sugeng : chef adjoint-Bintang : animatrice playgroup-Santi : animatrice playgroup-Sutris : animateur art, théâtrePlus Asep, coordinateur de SAR, Vincent « spécialiste » du contact avec les ONG internationales, et moi-même. Faiz nous a remis le plan du village de Bebekan que les étudiants du posko ont dressé « à main levée », puis transposé sur leur ordinateur. Ce plan sera visible sur le blog de Bebekan dont la mise en service est prévue dans une semaine environ. Il note l’emplacement de toutes les maisons (avant leur effondrement) (100), des étables (toutes intactes), des puits (57), des WC (13), de la mosquée, du cimetière au sommet de la colline, des rizières qui encerclent le village (mais qui n’appartiennent pas aux villageois). Chaque maison porte un numéro. Ce numéro est reporté sur les deux documents suivants, à savoir les photos prises 5 jours après le séisme par deux étudiants bénévoles français : chaque famille devant sa maison en ruines ou pas. C’est un document très émouvant et historiquement unique. A ma connaissance, aucun village dévasté de Yogyakarta n’a « documenté » ainsi les maisons et leurs habitants avant l’abattage des maisons et le déblayement des ruines. A la réunion de dimanche, un homme de Bebekan a suggéré qu’on fasse un agrandissement de chaque photo et que chaque famille accroche « sa photo » à l’intérieur de sa nouvelle maison, quand celle-ci sera reconstruite : « Pour raconter le tremblement de terre à nos petits-enfants ». Ce document aurait pu servir aux habitants de Bebekan à faire valoir leurs droits pour la prime à la reconstruction annoncée par le gouvernement quelques jours après le séisme (d’un montant de 10 à 30 millions de rupiah selon le niveau de destruction), mais les gens de Bebekan n’attendent rien de cette promesse. Ils n’ont toujours pas touché l’allocation de « survie » due à toute victime du séisme (90.000 rupiah et 10 kilos de riz mensuel) et qui est déjà versée dans de nombreuses autres circonscriptions depuis un mois. Cette prime se termine dans deux mois. Ce retard n’est pas justifié par l’administration locale. Les autorités de Yogyakarta ont toutefois admis que l’aide versée par le gouvernement central de Jakarta n’était pas suffisante pour couvrir toutes les victimes. Par ailleurs, comme quelques autres villages, Bebekan refuse que cette allocation soit versée uniquement aux personnes dont les maisons se sont totalement effondrées. Ils estiment, à juste titre, que même les villageois qui ont encore leur maison debout, ou à moitié debout, sont en droit de recevoir cette allocation, car eux aussi sont très affectés par le séisme : la solidarité villageoise veut que tout le monde partage tout et que tout le monde participe au « gotong-royong », travaux d’entre-aide bénévoles. Donner à certains et pas à d’autres risquerait de briser l’esprit « gotong-royong ». Ce refus donne une bonne raison à l’administration locale pour retarder la distribution de cette allocation à Bebekan. Ce document photographique et cartographique va par contre nous permettre, grâce à Vincent, d’obtenir de l’aide logistique auprès de certaines ONG internationales : outils et matériels de reconstruction, suppléments de bâches plastiques, nattes, couvertures…


Les travaux de déblayement se passent bien depuis que nous soutenons le « tour » de « gotong-royong ». Chaque fois que les ruines d’une maison sont déblayées, le propriétaire essaye de reconstruire aussitôt une maison temporaire avec les restes de son ancienne maison : poutres, charpentes, cadres de fenêtres, portes, tuiles, tôles, parois en contre-plaqué ou bambou tressé (gedek). Ainsi, depuis une semaine, 5 maisonnettes ingénieuses ont vu le jour. Mais toutes les familles de Bebekan n’ont pas la même chance : certaines maisons ont tout broyé en s’effondrant. Les villageois ont évalué qu’il faudrait en moyenne 700.000 à 1.000.000 rupiah par famille (soit 80 euros, pour certaines moins, pour certaines plus) pour construire une maison temporaire à partir des restes et de suppléments achetés. C’est peu, mais pour 95 maisons, cela fait pas mal d’argent. Vincent et Asep vont donc s’efforcer pendant mon absence (je dois partir en Inde ce mardi 4 pour 15 jours) de trouver des ONG qui donnent des bambous ou du contre-plaqué. Nous allons faire venir un architecte pour qu’il vérifie la résistance de ces maisons au séisme.


Nous ne pouvons envisager pour l’instant le financement de la reconstruction de maisons permanentes à Bebekan. Il est impossible d’en reconstruire une ou cinq. Il faut reconstruire la totalité des 95 maisons détruites, sinon cela risquerait de créer de graves tensions entre voisins dans un village jusque là très uni et égalitaire. Certains amis architectes indonésiens ont fait des plans de petites maisons en bois et bambou anti-sismique, d’environ 30 m2, qui coûtent entre 1000 et 1500 euros la maison. Par conséquent, avec l’argent dont nous disposons actuellement, nous ne pouvons construire que des espaces collectifs. Nous avons pour l’instant laisser tomber l’idée du « sangar », préau ouvert destiné à accueillir les activités culturelles et du playgroup, car il y a 15 jours, en discutant avec les hommes du village, ils ne voyaient pas ce sangar comme une priorité. Ils avaient comme premier souci de déblayer les ruines de leur maison et n’y arrivaient pas car ils devaient aller travailler dans les rizières. L’idée de construire un tel bâtiment était déplacée. Mais peut-être que dans quelques semaines elle reprendra son sens.


Projet moins romantique que le sangar : les villageois ont opté pour la construction de six WC publiques : le premier à l’emplacement actuel du puits communautaire au centre du village (qui est relié à une histoire merveilleuse que je vous raconterai plus loin), le second près de la mosquée, l’emplacement des quatre autres reste à définir. Ces 4 WC seront construits près de 4 puits particuliers, mais ils seront à l’usage de tous. Il faut donc étudier la carte du village avec les puits pour que les 6 WC soient répartis à juste distance des uns-des autres, et des maisons à desservir. Ces WC seront équipés d’une fosse sceptique et d’un coin « douche » (bac d’eau). La majorité des gens de Bebekan font actuellement leurs besoins en pleine nature, dans les canaux d’irrigation des rizières. Nous n’envisageons pas pour l’heure d’installer de pompe à eau. Les habitants n’en n’ont pas, ils puisent tous l’eau à la main. Une pompe à eau est certes un progrès mais elle dépense de l’électricité. En Indonésie, l’électricité est bien plus chère qu’en France et il n’est pas certain que les gens de Bebekan aient les moyens de payer la facture à long terme. Restons donc simples. Par contre, nous allons travailler avec un architecte et les gens du village pour trouver une idée économique et originale dans le plan de ces WC-salle d’eau. Une idée étant de faire peindre les murs par les enfants et les jeunes (ou moins jeunes) du village. Les peintures murales sont un art populaire très développé à Yogyakarta depuis quelques années, mouvement lancé par un groupe d’artistes (Apotek Komik) et repris ensuite par toute la population : les écoliers, les habitants de tel quartier peignent leurs rêves, leurs souffrances, leurs traditions sur les murs de leur école, sur les poubelles en béton, les pilonnes des ponts auto-routiers etc… Un vrai livre d’images de la vie urbaine contemporaine à Yoygakarta. Dans les villages du sud, cet art n’est pas encore développé. C’est l’occasion. -Nous réservons une partie de l’argent pour aider dans un avenir proche les femmes de Bebekan à monter une coopérative de « emping » et peut-être d’autres produits alimentaires traditionnels comme les « tempeh » (fromage de soja fermenté) ou le sucre de palme. Mais cela va prendre un peu de temps car les femmes ont encore du mal à s’organiser et ce désir de coopérative doit venir d’elles. Pour stimuler les plus ouvertes et vives d’esprit, nous proposons à cinq d’entre elles de suivre un atelier de formation à l’animation d’un playgroup, atelier conduit par Judicaëlle, une Française bénévole, psycho-thérapeute brillante et généreuse (dont j’ai déjà parlée dans un précédent épisode). Cet atelier gratuit se déroulera tous les vendredis après-midi, pendant 5 semaines, au restaurant « Milas », géré par une Allemande et des enfants de la rue, et dont la bâtisse principale s’est elle aussi effondrée. Il est situé au sud de Yogyakarta, mais tout de même à une heure de bus ou plus de Bebekan. Nous allons donc financer le transport des femmes de Bebekan désireuses de suivre cette formation qui sera l’occasion pour elles, non seulement d’accéder à un nouveau savoir, mais aussi de rencontrer des gens très différents. Une ouverture sur le monde. L’idée étant aussi que lorsque les étudiantes se retireront dans quelques semaines du village (il faut qu’elles retournent à leurs études) certaines femmes de Bebekan pourront assurer la relève du playgroup.


-Le REOGSutris (l’animateur art et théâtre) et Asep ont commencé à questionner les hommes du villages sur l’origine de leur danse qu’ils appellent « reog ». Le reog à l’origine provient de Ponogoro, une petite ville à Java Est. La créature centrale du reog est un masque fabriqué dans la dépouille d’une tête de tigre couronné d’une roue de paon de deux mètres d’envergure. Sur des rythmes et sons de gong, de flûte, d’angklung (orgues de bambous), un jeune homme vêtu d’un pantalon de kung-fu noir se couche en arrière sur le dos, il introduit sa tête dans celle du tigre, plante ses dents dans le masque immense pour le maintenir, et dans un mouvement de reins puissant, il se relève, encouragé par les percussions endiablées. Le voilà devenu « barongan », le « tigre-paon ». Autour de lui bondit un personnage narquois, portant un masque rouge sang, avec une bouche pleine de grosses dents et une tignasse de cheveux sauvages. IL est escorté par des cavaliers, jeunes hommes ou jeunes filles grimées en garçons, montant des chevaux de paille… Le reog est l’ histoire de la rébellion d’un poète de la cour de Majapahit (royaume hindou-bouddhistede Java Est, XVème siècle) contre le roi, entre l’ascèse et l’extase. Le reog a été maintes fois interdit dans le passé : par les colons hollandais, puis par les envahisseurs japonais, enfin par la dictature de Soeharto qui l’a finalement autorisé à nouveau en l’utilisant comme un outil de propagande politique, imposant un nouveau scénario « fleur bleue » à la place de la rébellion du poète. Pour recomposer le grand poème de Java (Le Livre de Centhini) j’avais fait une enquête sur le reog à Ponorogo il y a quelques années. J’avais rencontré un des vieux maîtres qui avait élevé cette danse à un haut niveau spirituel. Pak Wo m’avait expliqué que le reog était un défi suprême, qu’il ne fallait justement par se laisser dévorer par la transe, par la puissance bestiale apparente du masque tigre. A travers le masque « barongan », il s’agissait de se libérer de toute animalité (haine, colère, peur) et d’accéder à la grande roue du pan, prisme de toutes les couleurs de l’univers, miroir de toutes les qualités divines. « Qui joue à l’ange fait la bête », dit un dicton français. Les danseurs de reog, quant à eux, jouent à la bête pour un jour, si Dieu le veut, faire l’ange. Mais les hommes de Bebekan ne dansent pas le reog de Ponorogo. Ils n’ont pas de masque « barongan ». Leurs costumes sont ceux des personnages du Ramayana (épopée indienne) avec quelques personnages indigènes javanais. Bebekan est situé dans la région de Mangiran qui est connue comme la région qui a refusé de se soumettre au XVIème siècle au royaume de Mataram (Yogyakarta) et à son premier souverain, Senopati. Le reog de Bebekan serait donc la danse d’insoumission, non pas de l’est de Java, mais de Java Centre. Mais les danseurs de Bebekan ne savent pas expliquer le sens de leur danse, ils n’en connaissent que la forme, et mal. Mais ils ont en eux quelque chose de cette insoumission à l’ordre central, insoumission qui fait qu’ils n’ont reçu aucune aide officielle lors du séisme, mais aussi insoumission à la « culture de corruption » qui règne en Indonésie. Ce sont des gens qui ne demandent rien à personne et savent partager à parité le peu qu’ils reçoivent. Dès le dimanche 28 mai, en entrant dans ce village, j’ai eu l’intuition que c’était un village de descendants d’une « sous-caste », jadis, du temps où Java était hindouisée. Nous allons creuser avec eux l’histoire de « leur » reog. Cela s’annonce passionnant.


De même, Asep, un soir à Bebekan, a entendu de la bouche d’un villageois l’origine du nom « Bebekan ». « Bebek » en indonésien et javanais signifie « canard ». « an » marque un collectif. Il existerait deux villages dans la région portant le nom de Bebekan. Jadis, il y avait en effet deux canards : une canne, dans « notre » Bebekan, et son fidèle compagnon dans l’autre Bebekan. Chaque soir le couple se retrouvait auprès d’une source au milieu des rizières, source qui existe toujours. Cette source est reliée au puits central du village. Leur fidélité amoureuse était si profonde qu’elle produisait de très nombreux et beaux œufs. Ces œufs étaient à la disposition des villageois pour les offrandes et les repas cérémoniels, mais il leur était interdit de les vendre, d’en tirer un profit financier, sinon la pondaison miraculeuse menaçait de s’arrêter. Dans un autre temps, à Kota Gede (la ville ancienne au sud de Yogyakarta, particulièrement endommagée elle aussi par le séisme) se trouvait Sunan Kalijaga (un des 9 saints mytiques qui aurait propagé l’islam à Java, très attaché à la culture traditionnelle javanaise). Chaque soir il se retrouvait près de la source d’eau sacrée à Kota Gede avec son petit-fils. Un soir, le petit enfant tombe dans le puits et se noie à l’insu de Sunan Kalijaga qui en toute tranquillité est en train de manger un « lele », poisson d’eau douce. La mère de l’enfant annonce à Sunan Kalijaga la mort du petit-fils adoré, Sunan Kalijaga prononce alors un mantra, l’enfant renaît hors du puits et l’arrête du poisson reprend chair et vie. Et voilà le « lele » qui s’en va par la source royale rejoindre la source champêtre des deux canards de Bebekan….J’ai demandé aux deux étudiantes animatrices du playgroup de profiter des vacances pour faire travailler les enfants sur le nom de leur village. Pourquoi Bebekan ? Que savent-ils ? Qu’ils questionnent leurs parents, leurs grands-parents, qu’ils fassent des dessins des histoires qu’ils ont entendues. Que lentement ils se reconstruisent une « maison intérieure » (rumah batin). Leur maison extérieure, de pierres (rumah batu) est détruite, mais l’occasion leur est donnée justement de s’attacher à la construction de leur maison intérieure. Aussi solide notre maison de pierre soit-elle, si nous n’avons pas de maison intérieure, nous resterons des êtres exposés à tous les vents.

Dimanche 2 juillet


Marzuki, l’ami qui m’a fait connaître Asep et SAR dès le premier jour du séisme et qui soutient des villages sinistrés dans la région de Prambanan (est de Yogya), a proposé de projeter à Bebekan un film sur la philosophie du bambou. Il dispose d’un grand écran et d’un très bon projecteur dvd. Nous arrivons à la nuit tombée avec le matériel à Bebekan. Pak Jamhari et sa femme nous invitent à boire le thé dans la maison temporaire qu’ils viennent de reconstruire. Pak Jamhari se suspend en riant à une poutre horizontale puis secoue violemment les piliers en bois pour nous montrer que cette construction résistera à un séisme. Au carrefour des trois chemins du village, les enfants ont tissé un long panneau d’affichage, justement en bambou, où nous avons accroché les collages que Sarah (ma fille) a confectionnés à partir des photos prises le jour de la sortie des enfants à la maison. C’est là que nous déployons l’écran et les gens de Bebekan s’assoient tout autour sur des nattes. Ce film a été réalisé il y a déjà plusieurs années de cela par un réalisateur indonésien, Arahmaiani, à partir d’un texte très simple mais profond sur le bambou écrit par Sindhunata, un grand écrivain indonésien, prêtre jésuite. C’est un dessin animé minimaliste, le texte est lu en javanais par une belle voix d’enfant avec des sous-titrages en indonésien sur une musique de …John Cage. Il raconte comment le bambou appartient à la famille des plantes, des herbes même, et pourtant il est résistant à toute épreuve car il est humble par nature mais fort face aux épreuves. En une nuit il peut pousser d’un mètre, il peut atteindre 30 m de long et dans les ténèbres son bruissement fait frémir de peur et de beauté. Il sait se mettre au service des autres et a ainsi de multiples usages : construction de pont, tissage de paniers, de cordes ultra-résistantes, de parois. Jeunes, ses pousses sont aussi délicieuses à manger…Quand on le creuse, on peut en faire un tambour d’alerte. IL remplit ainsi la nuit d’un son alors que si on regarde à l’intérieur du bambou, il est vide. Etre à la fois plein et vide, telle est la philosophie centrale du bambou. Les hommes et femmes pauvres que nous sommes (ce film s’adresse aux paysans indonésiens) doivent ressembler à ce bambou : faible comme une herbe, mais résistant aux épreuves et dévoué à servir les autres. Une grand-mère du volcan Merapi dit que l’homme doit planter des bambous de son vivant, car le jour de sa mort, c’est sur une palanche en bambou qu’il est transporté jusqu’à sa tombe. La philosophie du bambou est donc celle du souvenir : -se souvenir de soi, se souvenir de son prochain, se souvenir de la mort, se souvenir de Dieu. Comme c’est un film court, nous l’avons passé trois fois, puis nous avons diffusé un long métrage de fiction du très talentueux cinéaste indonésien, Garin Nugroho, « Rindu padamu » (Je suis nostalgique de toi). Pendant cette projection, Asep et moi sommes montés un peu plus haut sur la colline (à 20m de là) où sont installées les trois tentes igloos du posko des étudiants. Nous avons organisé une petite réunion informelle avec entre autres, les 2 RT (chefs de quartier) de Bebekan. Les gens avec qui nous sommes le plus proches sont les responsables du RT1. Le RT2 est moins organisé, ils n’ont pas fait de « tour » de gotong-royong pour déblayer les ruines, chacun fait à sa manière, quand il a du temps, si bien que nous ne les avons pas soutenus avec de l’argent pour les repas comme nous le faisons pour le RT1. Comme pour le RT 1, nous leur avons proposé de louer une camionnette pour déblayer les ruines, mais c’est là que le RT2 a dit aux étudiants du posko qu’il préférait ne pas utiliser la camionnette et que l’argent de la location soit versée en « cash money » pour les habitants qui déblayaient les ruines de leur maison. J’ai été à moitié étonnée d’entendre ce mot anglais dans la bouche du RT2. Une ONG française que j’ai rencontrée une semaine après le séisme, avait déclaré qu’il fallait absolument payer en « cash money » les villageois pour les soutenir dans leur travail. Asep et moi nous étions vivement opposés à cette idée. Leur donner les moyens, les outils de travailler, oui. Mais pas de « salaire », sinon on brise à jamais l’esprit du « gotong-royong ». Le « gotong-royong » a fait ses preuves depuis le séisme, il a permis de tisser un immense filet de protection, d’aide, de secours, partout où l’aide gouvernementale et étrangère était absente, et en même temps un tissu humain magnifiquement solidaire et aimant. Cette ONG étrangère, et d’autres, débarquent avec des concepts tout faits, venus d’ailleurs, destructeurs de la culture locale. C’est très grave. A Aceh, après le tsunami, nombre d’habitants ont été complètement corrompus par ces ONG qui les payaient pour s’aider eux-mêmes. Peut-être qu’à Aceh cette culture du gotong-royong n’existait pas, que le tissu social a été d’abord détruit par des années de guerre civile, d’oppression militaire, puis par le tsunami qui a décimé des familles, des villages entiers. Mais à Yogyakarta la situation est totalement différente. Nous avons donc expliqué cela au RT2, comment les villageois ici avaient cette chance extraordinaire de posséder cette culture du « gotong-royong » presque unique au monde etc… Les hommes du RT1 s’y sont mis aussi pour lui expliquer que l’argent attribué à une chose ne pouvait être transférée à une autre. Le RT2 s’est rendu à la raison. Les villageois ont décidé ce soir là de la construction des six WC. Pendant mon absence, ils vont étudier les endroits propices, dresser des plans avec des amis architectes et un devis, sachant qu’ils se sont proposés à ce que certains éléments de leurs maisons en ruine soient recyclés dans la construction des WC, comme par exemple les briques, pour faire des murettes. Nous allons sans doute faire tout à neuf, mais cette proposition est encore une preuve de la grande intégrité des gens de Bebekan.
Merci à eux, à vous.

Elisabeth